Lors de la conférence sur la paix en Tchétchénie, qui s’est ouverte mardi 14 mars à Moscou, Piotr Kossov, désigné comme médiateur par les deux parties, a dénoncé les mystérieux coups de téléphone venus de Moscou qui ont fait capoter les précédentes négociations de paix. M. Kossov sait de quoi il parle : c’est lui qui avait été chargé de mettre en oeuvre les rares et courtes trêves intervenues depuis le début de la guerre en Tchétchénie il y a trois mois.

Piotr Kossov a notamment participé à la réunion, début mars, entre le représentant de Boris Eltsine à Grozny et le mufti tchétchène, délégué par le président Djokhar Doudaev. « Dès que les militaires [russes] souhaitaient une prolongation des trêves, un coup de téléphone venait tout compromettre, raconte-t-il. La dernière fois, ce fut un ordre de tirer sur le chef d’état-major tchétchène s’il tentait de franchir les lignes russes pour se rendre aux négociations en Ingouchie. »

Mardi, à la tribune de la conférence moscovite, M. Kossov n’a pas désigné les auteurs de ces coups de fil. En aparté, des négociateurs ont cependant mis en cause le ministre de l’intérieur, Viktor Erine, coordinateur officiel des opérations militaires russes, et Sergueï Chakhraï, le vice-premier ministre chargé des nationalités, accusé d’être un des principaux instigateurs de la guerre. Toutefois, le Kremlin, qui doit faire preuve devant le FMI et l’Europe d’une volonté de régler pacifiquement le conflit, a tout fait pour « récupérer » cette première grande conférence contre la guerre, résultat de deux mois d’efforts de divers militants sincères, dont le délégué russe aux droits de l’homme, Sergueï Kovalev.

BOMBARDEMENTS

Un message de soutien de Boris Eltsine fut lu à la tribune devant quelques centaines d’invités dont des ambassadeurs. Mais le représentant à Moscou du président Doudaev dut faire un scandale et une fausse sortie pour obtenir la parole. Car ce qu’il avait à dire tranchait avec l’image d’extrémiste belliqueux que le Kremlin a réussi à coller au président tchétchène. Son représentant a d’ailleurs réaffirmé la position de Grozny en lisant un texte de Djokhar Doudaev, paru il y a une semaine dans le Washington Post : « Nous ne sommes pas des séparatistes, nous ne voulons pas une indépendance complète, nous ne sommes pas des criminels et nous n’avons pas commencé cette guerre. » Nous voulons, dit le président tchétchène, vivre en paix avec la Russie après la conclusion d’un cessez-le-feu sans conditions, la création de zones de sécurité avec corridors humanitaires, des négociations directes et des élections en 1995, le tout en présence d’observateurs et de médiateurs internationaux.

Or, au moment même où était lu le message de soutien de Boris Eltsine aux pacifistes de la conférence, le président russe recevait, des mains de son premier ministre, un « nouveau » plan de paix qui, sur le fond, n’est guère différent des autres après trois mois d’une guerre censée être gagnée en dix jours. Ce plan commence toujours par la nécessité de « désarmer les bandes armées illégales » en Tchétchénie…

Sur le terrain, les bombardements de l’aviation et de l’artillerie russes se sont poursuivis, mardi, et des attaques seraient imminentes contre de nouvelles localités tchétchènes : Argoun, déjà totalement détruite après trois mois de pilonnages, puis Goudermes et Chali. Onze camions du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont encore été bloqués, mardi, par les Russes, au lendemain du passage d’un unique véhicule apportant pour la première fois depuis trois semaines du matériel médical aux hôpitaux tchétchènes démunis.

SOPHIE SHIHAB

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