Faute de mieux et avec un enthousiasme de commande, le Fonds monétaire international (FMI) a voté Boris Eltsine. En visite à Moscou, vendredi 10 mars, M. Camdessus a jugé que la Russie, à huit mois d’élections législatives incertaines pour le pouvoir, remplissait désormais les conditions pour recevoir un crédit de confirmation (stand-by) de quelque 6,5 milliards de dollars. « Je suis prêt à donner mon vote de confiance, un vote que je n’utilise pas très souvent », a déclaré Michel Camdessus, le directeur général du FMI, en s’engageant à soutenir ce dossier devant son conseil d’administration. Ces crédits sont destinés à réduire le déficit budgétaire russe en évitant une trop forte création monétaire (« la planche à billets »). Le reste du déficit (7,7 % du PIB, soit plus de 15 milliards de dollars) doit être couvert par d’autres prêts et des bons du trésor russe. « Cette décision ne peut se mesurer en milliards de dollars. Son effet dépasse son impact financier. Ce qui s’est passé au Kremlin aujourd’hui est un vote de confiance international dans les réformes russes », s’est réjoui Anatoli Tchoubaïs, le premier vice-premier ministre russe en charge de l’économie et l’un des derniers réformateurs du gouvernement. La bonne nouvelle a aussitôt été annoncée au peuple. Pour les besoins de la propagande, une « cérémonie de signature » a été organisée au Kremlin. Faute de document officiel à ratifier, le directeur du FMI et le premier ministre russe Viktor Tchernomyrdine ont paraphé, en présence de Boris Eltsine, un… communiqué de presse.
CONDITIONS DRACONIENNES
Un refus du FMI aurait été un échec cinglant pour le pouvoir russe, mais le « vote de confiance » n’est pas pour autant un triomphe. Il est assorti de conditions théoriquement draconiennes. Afin que les 6,5 milliards de dollars (sur douze mois) soient utilisés pour stabiliser l’économie, et ne se perdent pas dans la démagogie préélectorale ou dans les circuits de l’argent sale, le prêt sera versé par tranches mensuelles (de 500 millions), à condition que Moscou respecte les objectifs fixés en commun (réduction de l’inflation à 1 % par mois d’ici à la fin de l’année contre plus de 10 % actuellement, libéralisation du commerce extérieur, fin des privilèges fiscaux).
Même si M. Camdessus s’est déclaré « très impressionné par l’engagement du gouvernement russe sur le programme des réformes », la Russie est, en fait, fermement invitée à transformer ses promesses en actes. A la veille des ultimes négociations avec le FMI, les autorités russes ont multiplié les gestes de bonne volonté. Boris Eltsine a signé un oukaze supprimant, à partir du 15 mai seulement, des privilèges commerciaux (exemptions fiscales) octroyés à beaucoup de sociétés ou de régions « amies » ou puissantes. Un autre décret présidentiel a libéralisé le commerce extérieur. L’ex-directeur de Gazprom et actuel premier ministre Viktor Tchernomyrdine s’est, lui, résolu à augmenter (de 15 % à 25 %) les taxes à l’exportation du géant du gaz russe, dont il serait l’un des principaux actionnaires. Les producteurs d’énergie russes payaient des taxes très inférieures aux normes mondiales. Pour combler au maximum le déficit budgétaire, il ne reste donc plus au gouvernement russe qu’à appliquer ses récentes décisions, ce qui ne sera sans doute pas une mince affaire.
Le directeur du FMI n’a pas dit ce qui arriverait si Moscou poursuivait sa navigation à vue, si Boris Eltsine, qu’il juge « totalement déterminé à résister aux demandes » de subventions des groupes de pression, cédait à nouveau. En revanche, il a évoqué des perspectives radieuses au cas où, contrairement aux fâcheux précédents, le programme de « rigueur » économique était véritablement appliqué. Dans ce cas, la Russie pourrait bénéficier ces prochaines années de près de 20 milliards de dollars supplémentaires du FMI. Le prêt « historique » du FMI se veut donc être le sésame pour la prospérité et la paix en Russie. Et non pas une subvention internationale pour la « sale guerre » russe dans le Caucase ? « Je refuse totalement cette conception », a répondu à la presse Michel Camdessus. « Le FMI est une institution technique (…) qui n’a pas à juger », a-t-il dit. Avant d’affirmer, contre toute évidence et en pleine offensive russe : « Je sais que le gouvernement veut terminer ce conflit pacifiquement. » Il faut espérer que les promesses économiques du Kremlin soient plus sérieuses.
JEAN-BAPTISTE NAUDET