La poursuite de la guerre que mènent les Russes depuis trois mois en Tchétchénie commence à provoquer un léger malaise dans les relations que les Occidentaux entretiennent avec Moscou. Reçue jeudi 9 mars au Kremlin, la troïka européenne a confirmé son refus de signer un accord intérimaire de partenariat politique et commercial avec Moscou LE FMI devait cependant accorder vendredi un crédit stand-by de 6,3 milliards de dollars (31 milliards de francs) à la Russie A WASHINGTON, le soutien persistant que le président Bill Clinton dispense à Boris Eltsine est de plus en plus critiqué, notamment par la nouvelle majorité républicaine au Congrès. Cette campagne fait planer un doute sur la participation de M. Clinton aux commémorations de la victoire contre les nazis le 9 mai à Moscou auxquelles François Mitterrand se rendra.

Poliment mais sans qu’ils paraissent devoir en tirer la moindre conséquence pratique, les dirigeants russes ont écouté, jeudi 9 mars à Moscou, les représentants de l’Union européenne (UE) venus leur faire la leçon sur la Tchétchénie. On s’est quitté en se félicitant, côté russe, du « bon esprit » de la rencontre et, dans le camp européen, en assurant que Moscou avait fait montre « d’ouverture d’esprit ». Cependant, à s’en tenir aux propos tenus à la presse par les uns et les autres, les Russes n’ont pas pris le moindre engagement ni, semble-t-il, fait un seul geste concret en direction des Européens.

Les membres de la troïka, conduite par Alain Juppé, ministre français des affaires étrangères, accompagné de ses homologues allemand et espagnol, Klaus Kinkel et Javier Solana, ont quitté Moscou sans un début de garantie quant à un apaisement dans la crise tchétchène. Ils étaient venus délivrer à Moscou un avertissement qu’ils voulaient « ferme ». Il n’y aura pas de développement normal des relations entre l’UE et la Russie, ont-ils dit au président Boris Eltsine et à son ministre des affaires étrangères, Andreï Kozyrev, tant que se poursuivra la guerre en Tchétchénie. Concrètement, cela veut dire que l’UE ne signera pas l’accord intérimaire de partenariat politique et commercial qu’elle devait signer avec la Russie tant que celle-ci bombardera villes et villages de la petite République sécessionniste du Caucase.

M. Juppé a adressé un double message à ses interlocuteurs moscovites : loin de vouloir isoler la Russie, l’UE veut l’aider sur la voie des réformes, l’appuyer au FMI, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), faciliter son intégration au sein du Conseil de l’Europe, dans le dispositif de sécurité sur le Vieux Continent, etc. ; mais cette bonne volonté est « contrariée » par la guerre que les Russes mènent en Tchétchénie au nom de la défense de l’unité de la Fédération de Russie. L’UE ne conteste aucunement à cette dernière le droit de défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale, mais les moyens employés contreviennent à tous les engagements pris par la Russie, notamment au sein de l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe (l’OSCE qui a succédé à la CSCE).

Les Européens ne signeront cet accord intérimaire de partenariat qui devait être opérationnel le temps que les Parlements des pays membres ratifient le véritable accord signé à l’été 1994 à Corfou que si les Russes remplissent quatre « conditions », pour employer le terme utilisé par M. Juppé : cessez-le-feu général, libre acheminement de l’aide humanitaire, présence permanente d’une mission de l’OSCE sur place, enfin amorce de conversations et de règlement politiques avec les Tchétchènes.

Le gel de l’accord intérimaire est « un bon moyen de pression », explique-t-on chez les Européens, laissant entendre qu’il n’y en a pas beaucoup d’autres à la disposition de l’UE dès lors que celle-ci, considérant que l’affaire tchétchène est un problème intérieur russe, ne peut décider de « sanctions » à l’encontre de la Russie. Le report de la signature de l’accord intérimaire embarrasserait les Russes « politiquement et économiquement ». Après tout, l’Union européenne est, de loin, le plus gros contributeur d’assistance économique à la Russie et son principal partenaire commercial.

LE CYNISME DE M. KOZYREV

La réponse des Russes a semblé des plus évasives. Ils accepteraient « l’idée » d’une mission permanente de l’OSCE dans le Nord-Caucase, mais reste à « discuter des modalités et du calendrier » d’une telle opération, a observé M. Juppé. Volontiers provocateur, M. Kozyrev juge qu’en matière de surveillance du respect des droits de l’homme en Tchétchénie, ce sont les « crimes » du régime du président Djokhar Doudaev qui devraient faire l’objet de l’attention prioritaire de l’OSCE. Puis, ouvertement cynique, il a ajouté qu’en matière d’assistance humanitaire, c’était celle que dispense la Russie qui comptait, pas celle des Occidentaux (totalement bloquée par les Russes depuis trois semaines).

Les négociations avec les Tchétchènes ? On y viendrait, « on y serait presque », pas avec le « criminel Doudaev », bien sûr, mais peut-être avec certains de ses proches, ont affirmé les Russes à la troïka comme ils le font depuis plus d’un mois à tous leurs interlocuteurs occidentaux. Le cessez-le-feu ? Mais le président Eltsine a depuis longtemps donné l’ordre à ses troupes de faire taire les armes lourdes, fait-on, sérieusement, valoir à Moscou.

L’ensemble de ces angéliques réponses avait les allures d’une fin de non-recevoir polie adressée aux Européens, comme si la Russie était, pour l’heure, bien décidée à poursuivre « sa » guerre en Tchétchénie. Et tant pis pour les relations avec l’UE. En matière d’assistance financière, la Russie pourtant exportatrice nette de capitaux devait d’ailleurs recevoir cette semaine une solide injection de baume, avec l’attribution d’un crédit stand-by du FMI de plus de 6 milliards de dollars (30 milliards de francs).

ALAIN FRACHON

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