Trois mois après le début de la guerre en Tchétchénie, la réalité sur le terrain reste diamétralement opposée à l’image que tentent d’en donner les autorités russes. Celles-ci n’ont, en Tchétchénie, pas d’autre objectif que de «vaincre et détruire», déclarait au Monde, jeudi 8 mars, le responsable d’une organisation humanitaire internationale. Il a précisé avoir perdu l’espoir, un moment caressé, de voir les forces russes limiter leur progression hors de Grozny, ou se contenter d’occuper la moitié nord du pays, en épargnant les villes de Chali et de Goudermes. Une nouvelle «trêve» locale, acceptée par les militaires russes la veille de l’arrivée de la «troïka» européenne à Moscou, a ainsi été rompue avant même d’avoir commencé. Tous les autres engagements du Kremlin ont aussi été violés.

Il y a eu, d’abord, la promesse de remplacer, dès que Grozny serait prise, les unités de l’armée par celles du ministère de l’intérieur, certes bien plus impitoyables que les appelés du contingent, mais au moins dénuées d’artillerie lourde et d’aviation. Non seulement il n’est plus question d’un retrait de l’armée – contrairement à ce que les dirigeants russes ont affirmé à la troïka européenne – mais de nouvelles unités sont à l’entraînement en Russie pour «achever à la fin du mois la relève en cours des unités de l’armée engagées depuis le début des combats», a précisé, jeudi, un porte-parole militaire.

Moscou s’est encore engagée à permettre l’accès de l’aide humanitaire. Hors, depuis trois semaines, aucun convoi destiné à des zones non contrôlées par l’armée russe n’a été autorisé à franchir les postes russes aux frontières de la Tchétchénie. A l’est, vers le Daghestan où vivent aussi des Tchétchènes, tous les ponts routiers ont été détruits fin février, de toute évidence par les forces russes. Le long de la frontière ingouche, à l’ouest, c’est l’intensité des bombardements de l’artillerie et de l’aviation russes sur des villages, loin d’être tous des places fortes de combattants, qui, depuis une semaine, interdit pratiquement la circulation, de même que les mines disséminées cette semaine sur les routes de cette région, de l’aveu même des militaires russes. Il s’agit d’un des rares types d’arme dont ils n’avaient encore guère usé, alors que bombes à aiguilles et à fragmentation sont utilisées depuis le début du conflit. Toutes les zones de résistance tchétchène forment ainsi une poche de plus en plus isolée, physiquement, mais aussi médiatiquement, dans la mesure où les journalistes russes sont de plus en plus muselés par le pouvoir.

Quant aux négociations promises, les Russes excluent plus que jamais de les mener avec celui dont ils ont fait eux-mêmes le représentant incontournable des Tchétchènes, le président Djokhar Doudaev. Enfin, aucune sanction n’est envisagée contre les tortionnaires des «camps de filtration» russes ou contre les auteurs d’exécutions sommaires, qui se poursuivent à Grozny. Mais l’opinion en Russie reste peu informée de cet aspect du conflit.

SOPHIE SHIHAB

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