A Alma-Ata, la Russie a essuyé, vendredi 10 février, un nouvel échec cuisant, même s’il a été officiellement présenté comme un succès à Moscou, dans son entreprise de faire réellement de la Communauté des Etats indépendants (CEI) l’héritière de l’URSS. Ce quinzième sommet des douze chefs d’Etat de la CEI, réuni dans la capitale du Kazakhstan, devait pourtant constituer « un tournant ». Boris Eltsine reconnaissait ainsi, la veille de l’ouverture, que, « malgré les nombreux accords d’intégration et de coopération (entre les pays de la CEI), il n’y a pas eu de résultats, notamment dans le domaine économique », pour ne pas parler des rêves militaires russes. Mais cette fois-ci, malgré les quelque quatre cents accords déjà signés et aussitôt oubliés, malgré le conflit tchétchène (qui, selon le président russe, n’allait « pas nuire au processus d’intégration au sein de la CEI »), les choses allaient changer. « Je pense que tous les membres de la CEI vont finalement signer un texte sur la sécurité collective », disait Boris Eltsine.
Les Russes étaient arrivés avec trois accords en poche à ce sommet, présenté comme devant être un « tournant» : le premier, préparé la veille avec l’Ukraine, évite soigneusement d’évoquer les désaccords de fond entre Moscou et Kiev ; le second, signé il y a un mois, se propose de mettre en place une union douanière avec le Kazakhstan et la Biélorussie ; le troisième, conclu fin janvier, institue une coopération militaire avec le Kazakhstan. A l’issue du sommet, le maître du Kremlin, qui semblait « affaibli » (lire ci-contre), s’est abstenu de participer à la conférence de presse finale, laissant la difficile tâche à son premier ministre de présenter les maigres résultats de la réunion.
ACCORDS NON APPLIQUÉS
Les chefs d’Etat de la CEI ont en effet rejeté le projet russe de défense commune des « frontières extérieures » de la CEI. Ils ont adopté, à la place, un vague « document » ukrainien qui prévoit une « coordination des efforts des pays (membres) dans le domaine de la défense de leurs frontières ». C’est-à-dire rien. « Particulièrement important à l’heure où le nouveau Congrès (américain) tente de ressusciter le programme de guerre des étoiles », selon les mots d’un haut responsable russe du ministère de la coopération avec la CEI, le projet caressé par Moscou de reconstituer une défense antiaérienne commune a aussi été rejeté d’entrée de jeu. Cela n’a pas empêché le ministre russe de la défense, Pavel Gratchev, d’affirmer à son retour à Moscou que, « pour la première fois, tous les Etats de la CEI ont manifesté leur volonté de créer un système commun de défense aérienne ».
Proposé par le Kazakhstan, un des pays les plus proches de Moscou, un « pacte » d’assistance mutuelle pour protéger l’intégrité territoriale des pays de la CEI a été remplacé par un simple mémorandum sur « la paix », sans valeur. Apparemment, dans la CEI, personne n’a envie, par exemple, de rejoindre en Tchétchénie les forces armées russes. Même si, selon Boris Eltsine, celles-ci « ne participent pas aux hostilités mais sont engagées dans un travail constructif » dans cette République, où la situation est, selon lui, « normale ».
Sur le plan économique, les choses n’ont pas beaucoup avancé non plus, malgré la signature de treize accords, dont l’un sur la « standardisation des transports ferroviaires », qui iront sans doute s’ajouter à des dizaines d’autres, non appliqués, tandis que certains mécanismes de l’ex-URSS continuent, eux, de fonctionner tout seuls. Le chef du gouvernement russe a cependant estimé que « l’union économique des pays de la CEI sera réalisée tôt ou tard ». Faute d’autres sujets de consensus et d’autres idées politiques, les pays de la CEI se sont mis d’accord pour fêter en commun, le 9 mai 1995, le cinquantième anniversaire de la « victoire sur le fascisme ».
JEAN-BAPTISTE NAUDET