A Moscou, les traditions ont une santé résistante et les kremlinologues doivent rester des experts médicaux. Les « problèmes de santé » demeurent un moyen bien pratique pour limoger en douceur un responsable gênant, sans se désavouer, ni s’expliquer. Mais l’hôpital russe n’est pas toujours l’antichambre de la mort, politique s’entend. Sous Boris Eltsine, il est devenu le lieu où on laisse passer la tempête, à l’abri des curieux. Avant de réapparaître ou de disparaître pour de bon. Le maître du Kremlin a donné l’exemple. Hospitalisé dès le début de la crise tchtéchène pour une « bénigne » opération du nez, le président russe a réussi à conserver le silence jusqu’à fin décembre. Aujourd’hui, c’est au tour de son fidèle ministre de la défense, Pavel Gratchev, devenu le bouc émissaire potentiel de la crise tchétchène, de se réfugier à l’hôpital, a-t-on appris jeudi 2 février. Nikolaï Egorov, l’administrateur russe pour la Tchétchénie récemment remplacé, souffrirait lui d’une « vraie » maladie (pneumonie ou cancer, selon les sources), comme le ministre des finances, Vladimir Panskov, victime « d’un ulcère ».

M. Gratchev, lui, est en bonne santé : il procède, selon la version officielle, à un « contrôle » médical annuel. Attentif à sa « santé », le général avait déjà subi il y a trois mois un « chek-up » alors qu’il devait répondre devant le Parlement d’accusations de corruption. Le climat politique s’étant amélioré, Pavel Gratchev s’était alors présenté en pleine forme devant les députés qui l’avaient absous.

Rien ne dit aujourd’hui que ce scénario se reproduira. Après avoir disparu à cause du désastreux assaut du 1 janvier contre Grozny, le général avait resurgi pour triompher lors de la prise du palais présidentiel tchétchène. Mais en traitant Sergueï Kovalev, le délégué présidentiel russe aux droits de l’homme, « d’ennemi de la Russie », Pavel Gratchev s’est exposé à une rechute. De plus, selon le quotidien moscovite Segodnia du vendredi 3 février, Boris Eltsine a présenté à Pavel Gratchev des preuves de sa corruption juste avant son « hospitalisation ». Le général Edouard Vorobiev, qui a présenté sa démission plutôt que de diriger les « opérations » en Tchétchénie, a lui aussi été « hospitalisé pour les examens réglementaires dans l’armée avant tout départ de poste ». D’autres généraux, dont les limogeages ont été annoncés mais jamais confirmés, attendent dans leurs bureaux, dans le coma politique.

JEAN-BAPTISTE NAUDET

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