Il y a quelques semaines, alors que Moscou venait de lancer son offensive en Tchétchénie, un diplomate russe à Washington appela un journaliste américain et lui demanda, sous le sceau de la confidentialité, s’il avait connaissance de la présence d’un émissaire tchétchène à Washington et s’il pensait que celui-ci serait reçu par l’administration. Une telle perspective, à l’époque sans fondement, inquiétait apparemment beaucoup le diplomate.
Jeudi 26 janvier, l’émissaire tchétchène était à Washington, mais il ne faisait plus peur à personne. Chamsedine Yousouf, respectable sexagénaire contraint de voyager sous passeport soviétique, Tchétchène né en Jordanie et présent ces derniers temps à Grozny aux côtés du président Djokhar Doudaev, dont il est le ministre des affaires étrangères, a défendu la cause de son pays avec conviction et émotion, lors d’une réunion à la fondation Carnegie ; mais aujourd’hui, dans la capitale américaine, c’est une cause perdue. « LA LIBERTÉ »
La prise de Grozny, si laborieuse soit-elle, paraît difficilement évitable ; la poursuite des bombardements russes une semaine après que le secrétaire d’Etat américain, Warren Christopher, se fut déclaré « encouragé » à Genève par les assurances de son homologue russe Andreï Kozyrev ne provoque guère de remous ; les lugubres images de cadavres dans la neige ont disparu des petits écrans. Et M. Eltsine, constate-t-on avec soulagement à Washington, refait surface sur la scène politique intérieure à Moscou. Tout au plus M. Christopher a-t-il réitéré jeudi ses appels à une « réconciliation qui prenne en compte les vues du peuple tchétchène ».
Après avoir vu quelques membres du Congrès, M. Yousouf devait être reçu vendredi par un représentant du département d’Etat. A un niveau modeste, par un diplomate du département des droits de l’homme plutôt que par un des fonctionnaires du département des relations avec la Russie, comme cela avait été prévu à l’origine. Le message est clair : l’entretien n’est pas d’ordre politique, mais humanitaire. Chamsedine Yousouf, a expliqué la Maison Blanche, est reçu à Washington en tant que citoyen russe et « Tchétchène inquiet » : « Notre position est que la Tchétchénie fait partie de la Russie et que la Russie a déjà un ministre des affaires étrangères. »
Inquiet, Chamsedine Yousouf l’est assurément. Et pourtant, dit-il, « la guerre entre la Russie et la Tchétchénie n’a pas commencé. Nous pouvons brûler Moscou, nous avons les gens pour ça. Les Tchétchènes ne feront pas sauter les pipe-lines. Nous ne voulons pas nous battre contre le peuple russe, mais contre le régime d’Eltsine ». Les négociations avec le président russe ne sont plus possibles, ajoute-t-il : « Il n’a pas de parole, il boit et c’est un chef mafieux. » Les projets du général Doudaev, avec lequel il est en contact quotidien ? « La liberté. » Le palais présidentiel est détruit et il a dû déplacer son QG, « mais il ne fuira pas Grozny : il n’a nulle part où aller ».
SYLVIE KAUFFMANN