Vladimir Jirinovski, le chef du Parti libéral-démocrate (LDPR), se félicite de l’intervention en Tchétchénie qui a permis de « laver » l’Etat de ses « traîtres », mais il estime qu’« il faut nettoyer les abcès qui restent en Russie ». M. Jirinovski, dont le parti est arrivé en tête aux élections législatives, pense que le changement d’orientation de la politique de M. Eltsine pourrait permettre au LDPR d’« entrer au gouvernement ».

Depuis la guerre en Tchétchénie, « tout va bien », « mieux » même. C’est Vladimir Jirinovski qui le dit. « Après cette guerre, la Russie est comme un organisme après un clystère, elle est lavée. La Tchétchénie, c’est comme un abcès qu’il fallait nettoyer et c’est pour cela que tout va bien », explique au Monde, mardi 24 janvier, le dirigeant ultra-nationaliste russe.

Un entretien à crédit. « Est-ce qu’ils ont payé ? », demande Jirinovski à son secrétariat avant de continuer à parler. Pour lui, en Tchétchénie « tout va bien », et il en est de même à Moscou. « L’Etat a subi un lavage, on a vu tout les problèmes dans l’armée, la faiblesse de certaines personnes, on a vu les traîtres », juge le chef du Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR), moins libéral et démocrate que jamais. « NOUS AURONS 300 DÉPUTÉS »

Tout va pour le mieux : le rapprochement avec le président Eltsine est « bien » aussi. Même si « ce n’est pas nous qui nous sommes rapprochés du gouvernement, c’est le gouvernement qui s’est rapproché de nous », estime-t-il dans ses confortables locaux parlementaires de la Douma. « Nous sommes prêts à entrer au gouvernement », dit M. Jirinovski. Il se contenterait « des ministères de force » (défense, police, services de sécurité) et de ceux touchant à l’économie. Il s’agit de « montrer » que ces ministères, une fois aux mains du LDPR, « seront mieux dirigés » qu’auparavant. Après les élections législatives de décembre 1995, « nous aurons trois cents députés, nous serons le parti dominant, il n’y aura plus d’opposition, elle sera étranglée », indique M. Jirinovski. Il estime qu’il faut « multiplier par cinq » les chiffres des sondages qui le créditent aujourd’hui de près de 15 % des suffrages. A la surprise générale, son parti était arrivé en tête aux élections législatives de décembre 1993, réunissant environ 25 % des voix.

L’OCCIDENT DÉSTABILISATEUR

Avec le président russe, les relations semblent s’être grandement améliorées. On apprécie au LDPR sa position « beaucoup plus patriotique ». Et M. Jirinovski « aime bien » le chef du « service de sécurité présidentiel », le général Alexandre Korjakov, qui passe pour l’éminence grise du Kremlin, se mêlant des réformes économiques comme des nominations dans les services secrets, qu’il entend d’ailleurs réorganiser sous la coupe d’un nouvel « organe de coordination ». Les Izvestia ont révélé, mardi, que le général Korjakov entretient aussi un « centre d’analyse » secret, sis aux pieds du Kremlin.

Les soixante à cent anciens du KGB qui le forment ont pratiquement supplanté, depuis octobre 1994, le centre d’analyse présidentiel officiel, dirigé par un tenant des réformes démocratiques. Les membres du centre officiel, comme ceux du gouvernement, ne se communiqueraient plus d’informations sensibles autrement que par écrit, de crainte des écoutes opérées par le service de sécurité présidentiel, selon les Izvestia. « Le chef de ma garde est un ami de Korjakov », dit Vladimir Volfovitch Jirinovski. Bien qu’il fut le premier parti enregistré en URSS, qu’il bénéficie d’étranges moyens et qu’il se comporte plus bizarrement encore, le LDPR n’est pas une créature du KGB, assure Vladimir Kosilev, un conseiller de M. Jirinovski. « Il faut des documents pour le prouver. Si M. Stepachine [le chef du FSK, héritier du KGB] dit des choses bien, pourquoi ne pas le soutenir ? », demande ce conseiller.

Au LDPR, où l’on juge que l’Occident « déstabilise » le pays car il veut « une Russie faible », on estime que Boris Eltsine a enfin « compris » que « les solutions » du parti « étaient les bonnes ». Les déclarations de Vladimir Polevanov, le nouveau responsable des privatisations (qui a jugé qu’il fallait renationaliser des entreprises vendues « injustement » à l’étranger) vont dans le bon sens. « C’est notre position », ajoute M. Kosilev. Après avoir semé la panique chez les investisseurs, M. Polevanov a été « réaffecté», mardi, au Kremlin par un décret de Boris Eltsine, à la tête du « département de contrôle » de l’exécution des ordres présidentiels. « LA CINQUIÈME COLONNE »

Reçu à la veille du débat de la Douma sur la guerre en Tchétchénie par Viktor Tchernomyrdine, M. Jirinovski ne dira pas ce dont il a parlé avec le premier ministre russe. « On m’a proposé 10 millions de dollars [pour cela] et je n’ai rien dit… Et vous voulez le savoir gratuitement ! », s’exclame-t-il. Son parti avait fait échouer les tentatives des démocrates de faire condamner la guerre par le Parlement (Le Monde des 15 et 16 janvier). M. Jirinovski confirme qu’il doit « bientôt » voir Boris Elstine : « Nous allons parler des changements dans la politique intérieure et extérieure du pays ».

En politique étrangère, il s’agit de mettre fin au blocus de « certains pays », probablement l’Irak et la Serbie. Un des conseillers estime qu’en insistant pour la levée de l’embargo contre l’Irak, le ministre russe des affaires étrangères, Andreï Kozyrev, a adopté les positions du LDPR.

M. Jirinovski estime qu’il faut aussi « récupérer les dettes » dues par l’étranger à la Russie, « arrêter le soutien [financier] à d’autres pays ». Le chef de son service presse, le général Victor Filatov (fier de s’être « battu en Bosnie » du « bon côté», serbe, évidemment), interrompt un moment la conversation pour demander que l’entretien lui soit soumis, en russe, avant publication. « C’est 1 000 dollars la minute à payer avant la fin de la semaine », insiste le secrétaire du groupe parlementaire, un colonel, ancien attaché militaire à Paris.

M. Jirinovski reprend : sur le plan intérieur, il faut « rebâtir l’industrie », « refaire le secteur privée » et « combattre la criminalité». Lors d’une conférence de presse, à Moscou mercredi 18 janvier, les députés du LDPR ont dénoncé « la cinquième colonne qui menace de détruire la Russie », constituée, selon eux, des « ultra-occidentaux comme Gaïdar », l’ex-premier ministre libéral, des « nationaux-séparatistes comme Doudaev », le président indépendantiste tchétchène et du « lobby du capital étranger et de la mafia ».

Cette cinquième colonne « doit être détectée et neutralisée », ont-ils ajouté. M. Jirinovski précise qu’il faut « nettoyer les abcès, comme celui de la Tchétchénie, qui restent en Russie ». Tout va donc de mieux en mieux.

JEAN-BAPTISTE NAUDET

Leave a comment