Les forces russes se sont emparées, jeudi 19 janvier, du palais présidentiel de Grozny. Les combats se poursuivent ailleurs dans la capitale tchétchène et s’étendent au reste du pays. M. Eltsine a affirmé que « la phase militaire du rétablissement de la Constitution russe dans la République tchétchène est presque achevée ». La reprise en main de l’armée semble engagée avec le limogeage de trois vice-ministres de la défense qui avaient exprimé des réserves sur l’intervention en Tchétchénie. Les réactions internationales restent discrètes : la mission du FMI auprès de Moscou se poursuit, et le secrétaire général de l’ONU, M. Boutros-Ghali, a réaffirmé qu’il s’agissait d’« une affaire intérieure ». Le Parlement européen a toutefois exhorté les gouvernements de l’UE à ajourner en partie l’accord de partenariat et de coopération avec la Russie.

C’est une victoire toute symbolique. Après avoir reçu, la veille, ce que l’on peut considérer comme le feu vert de Washington, cinq semaines après leur entrée dans la minuscule Tchétchénie, trois semaines après le début de l’offensive de la seconde puissance militaire du monde contre Grozny, et après deux assauts manqués, les forces de Moscou ont investi jeudi 19 janvier un palais présidentiel, au centre de la capitale tchétchène, vide et calciné. Le bâtiment a été dévasté par les bombardements, abandonné depuis longtemps par les autorités indépendantistes tchétchènes et, la nuit même, par la plupart de ses derniers défenseurs. Selon les journalistes sur place, les forces tchétchènes tiennent encore près de la moitié de Grozny « la terrible » en russe où de violents combats se poursuivaient vendredi. « La prise du palais ne met pas fin à la guerre. Les Tchétchènes sont encore partout dans la ville et reprendront chaque maison les unes après les autres », a déclaré à l’AFP un commandant russe en Tchétchénie, sous le couvert de l’anonymat. « En Tchétchénie, chaque maison est un palais présidentiel, et il faudra les prendre une par une », a ajouté, comme en écho, de l’autre côté des lignes, un combattant tchétchène. Les forces russes ont d’ailleurs intensifié, vendredi 20 janvier, leur pilonnage de la ville pour tenter d’y briser la résistance. Un char russe tirerait sur la route du sud, principale voie d’accès à Grozny. Et la guerre s’est encore étendue au reste du territoire. Les bombardements aériens des villages du Sud se poursuivent, et les Russes ont ainsi frappé, jeudi, des villages au nord de la rivière Terek, théoriquement sous contrôle russe. Sergueï Kovalev, le délégué présidentiel russe aux droits de l’homme, revenu jeudi de Tchétchénie à Moscou, a montré un tract lancé par les Russes, qui menace les villageois de bombardements aériens s’ils résistent.

« DÉMÉNAGEMENT »

Pourtant, à Moscou, juste après l’annonce de la prise du symbole de l’indépendance tchétchène (« une affaire intérieure russe », a cru bon de préciser le secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali), le président Eltsine a crié victoire, une fois de plus un peu prématurément sans doute, et il a signé une série d’oukases pour réaffirmer son autorité ébranlée par les échecs successifs. « La phase militaire du rétablissement de la Constitution russe dans la République tchétchène est presque achevée. La mission de rétablissement de la loi et de l’ordre […] est transmise au ministère de l’intérieur », a déclaré, dans un communiqué, le président russe. Le maître du Kremlin a précisé que les opérations étaient « presque » terminées, que ce jour n’était qu’un « espoir » de « paix ».

Qualifiant la victoire russe de « tragico-comique », le ministre tchétchène de l’information, Movladi Oudogov, a déclaré, depuis Grozny, sur les ondes de Radio-Liberté : « La guerre ne fait que commencer. » Il a souligné qu’il y avait aujourd’hui plus de combattants tchétchènes que lors de l’entrée des troupes russes en Tchétchénie, le 11 décembre 1994. Les Tchétchènes, qui défient l’ours russe depuis des semaines voire des siècles, expliquent, en ironisant, que leur « départ » du palais est un simple « déménagement », pour des raisons de « confort ». « Nous avons déménagé notre état-major à un kilomètre du palais, qui a été complètement détruit par les bombardements russes et ne convenait plus comme lieu de travail », a déclaré Aslan Moskhadov, le chef d’état-major tchétchène, lors d’une conférence de presse dans la République voisine d’Ingouchie. « Personne n’a pris le palais présidentiel, il y a simplement eu une attaque [à la bombe] qui a complètement détruit le bâtiment, jusqu’au bunker où nous étions installés, le plafond du bunker s’est effondré », a-t-il expliqué.

Akhiad Idigov, le président du parlement tchétchène, a précisé, lors d’une autre conférence de presse, que « les défenseurs avaient décidé d’abandonner le palais jeudi matin après que celui-ci a été presque entièrement détruit par des bombes à pénétration profonde ». Ces bombes ont fait de nombreuses victimes parmi les défenseurs du palais, selon l’un d’eux. Des prisonniers russes auraient aussi été tués, les autres évacués avec la majorité des défenseurs. Venues du nord et de l’ouest de Grozny, les forces de Moscou avaient réussi, dans la nuit, à faire la jonction devant le palais, qui a été abandonné par de nombreux combattants sous un feu nourri d’artillerie, selon un journaliste de l’AFP qui se trouvait du côté russe. Lors de l’assaut, de nombreux soldats russes ont été tués par les derniers défenseurs. « BANDITS »

Après la prise du palais, les « espoirs de paix » semblent plus minces que jamais. La chute du symbole du pouvoir du président Djokhar Doudaev pourrait ne pas trop affecter les combattants, qui se sont ralliés à lui souvent après l’intervention russe. Les propositions de cessez-le-feu de Moscou sont oubliées, même si les organisations humanitaires réclament une trêve pour évacuer les blessés. Selon le président du parlement de Grozny, ce sont les Russes qui avaient demandé à une délégation tchétchène de venir à Moscou, « pas pour l’écouter mais pour montrer à Genève [où se rencontraient les ministres russes et américain des affaires étrangères] que Moscou cherchait une solution pacifique ». Rassurée sur le soutien américain, la Russie a aussitôt enterré les « consultations » avec « les bandits ». Dès le lendemain, ses forces passaient à l’assaut et redoublaient de violence. Un symbole.

JEAN-BAPTISTE NAUDET

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