A Moscou, le partage des rôles semble maintenant parfaitement au point. Boris (Eltsine) tape du poing sur la table, continue de scander qu’il faut en finir avec les bandits tchétchènes, fait donner la troupe et espère ainsi, en jouant sur les instincts les plus nationalistes du peuple russe, ressouder, autour de lui, une nation qui se délite et redorer un blason de plus en plus terni.
Viktor (Tchernomyrdine), le premier ministre, joue sur un registre plus nuancé. C’est l’homme du dialogue, qui parle de négociation sans toutefois jamais proposer de véritable alternative aux Tchétchènes, sinon de déposer les armes et d’attendre que s’instaure la « pax russica ». Dans certaines chancelleries occidentales, on trouve rassurant cet ancien dirigeant du complexe industriel soviétique, considéré comme un successeur acceptable, au cas où il arriverait malheur à Boris Eltsine.
Quant à Andreï (Kozyrev), le benjamin, il est chargé de présenter à l’étranger un emballage séduisant de la politique russe, loin des charniers de Grozny. Si, à Moscou, le ministre des affaires étrangères passe maintenant pour un des plus durs de l’entourage de Boris Eltsine, à Genève, il a su se faire tout miel pour expliquer à son homologue américain que la Russie ne veut pas dévier de la voie de la sagesse. Et puis, cet homme charmant parle si bien anglais, qualité considérée par bien des diplomates occidentaux comme un brevet de démocratie !
Quelles que soient les partitions que jouent les uns et les autres, la seule logique du Kremlin reste celle d’une guerre à outrance. Si celle-ci connaît, de temps en temps, quelques accalmies, si le palais présidentiel de Grozny n’est toujours pas tombé, ce n’est pas par une quelconque volonté politique de Moscou, mais du fait du peu d’ardeur des soldats russes à participer à cette « sale guerre », du mauvais fonctionnement de l’armée et des critiques qui se font tous les jours plus nombreuses en Russie sur les objectifs de l’expédition tchétchène. Les Occidentaux paraissent avoir sciemment choisi de se laisser berner par Boris, Viktor et Andreï, plutôt que d’entendre les appels au secours du peuple tchétchène et les messages des démocrates russes.