Toujours impuissantes, au quatrième jour de leur troisième assaut, à s’emparer de Grozny, les forces russes ont poursuivi, dimanche 15 janvier, leurs bombardements aériens contre les villages du Sud, où se sont la majorité des personnes déplacées. Les localités de Chali (30 km au sud-est de Grozny) et de Tchiri-Iourt (30 km au sud) ont été la cible, dimanche, de raids aériens, selon des témoins cités par l’AFP.
Plus au sud encore, les villages de montagne sont presque quotidiennement attaqués par l’aviation russe, selon les témoignages. Ainsi le village de Gukhoi, à 2 000 mètres d’altitude, près de la frontière géorgienne, a été frappé, mercredi 11 janvier, par seize missiles tirés par des avions russes. Vendredi, c’est le village de Chatoï qui a été frappé. Les forces russes avaient parachuté des hommes dans les montagnes, dont une unité de cinquante hommes, qui ont été faits prisonniers. Des raids aériens de représailles ont suivi. Un journaliste russe, proche de l’état-major militaire, avait, cette semaine, produit une menace en forme d’analyse : beaucoup de villages pourraient refuser d’apporter leur soutien à la résistance par crainte des raids aériens. Mais la violence russe, incontrôlée, semble plutôt faire basculer la population du côté de la rébellion.
PILLAGES ET VIOLS
Dans les zones sous contrôle de Moscou, des soldats russes, parfois des repris de justice engagés sous contrat, se livrent à des pillages et à des viols, selon des témoignages recueillis sur place. Les troupes russes sont aussi la cible, dès la tombée de la nuit, d’opérations de commandos. Les villages « libres » du Sud, qui sont hors de la zone des combats, fournissent un appui logistique aux combattants de Grozny. Les villages « occupés » ont commencé une résistance passive voire active. « La Russie ne veut pas détruire le régime de Doudaev. Elle veut détruire le peuple tchétchène », estime un représentant de la diaspora tchétchène à Moscou. La population est convaincue que la Russie est déterminée à l’exterminer, ce qui ne fait que renforcer la résistance. Ce représentant tchétchène, un de ceux reçus, vendredi, par le premier ministre russe Viktor Tchernomyrdine, cite à l’appui de sa thèse l’inefficace mais meurtrière « stratégie » militaire russe.
Moscou refuse toute solution qui pourrait mettre un terme aux combats, notamment l’envoi d’observateurs neutres, étrangers. Les « opérations de police » tuent plus de civils que de militaires et Moscou bloque, malgré ses promesses, l’acheminement de l’aide humanitaire en Tchétchénie, souligne-t-il. Un premier avion du haut commissariat aux réfugiés de l’ONU a, certes, pu atterrir dimanche dans la République voisine d’Ossétie du Nord, plus de quinze jours après que Moscou eut fait officiellement appel au HCR. Il transportait de quoi ravitailler 10 000 personnes, alors que le nombre de réfugiés est évalué à près de 400 000. « UN CRATÈRE DE BOMBE »
Faute de réussir à s’emparer rapidement de Grozny, les forces russes continuent de transformer la capitale en un tas de pierres. Tous les quartiers de la ville sont la cible des bombardements russes, qui tuent de nombreux civils n’ayant pu quitter Grozny. Ce pilonnage est cependant jugé « trop mou » par le leader ultranationaliste Vladimir Jirinovski, devenu le principal soutien de M. Eltsine dans l’aventure tchétchène. « Si je commandais, Grozny serait aujourd’hui un cratère de bombe. Plus un chien nulle part. Plus un cadavre. Rien qu’un cratère », a déclaré M. Jirinovski à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.
Objet d’une lutte symbolique, le palais présidentiel, déserté par les autorités et tenu par des combattants basés dans ses sous-sols, a été de nouveau la cible des tirs d’artillerie russes. Les forces russes ont tenté de s’en emparer, samedi, pénétrant même dans le bâtiment dévasté, avant d’être repoussées par des défenseurs tchétchènes, aujourd’hui pratiquement isolés de leurs arrières. Un porte-parole du ministère de la défense a affirmé, dimanche, que les forces russes encerclaient désormais ce palais mais aussi la ville. Selon le correspondant de la chaîne privée NTV sur place, les forces tchétchènes auraient repoussé, dimanche, les troupes russes sur un front du centre-ville. Les combattants utilisent les caves et les souterrains, réussissant parfois à prendre à revers les forces de Moscou.
Mais même si le palais ou la ville devaient bientôt tomber, il s’agirait d’une victoire à la Pyrrhus. La guerre a déjà gagné le reste du territoire. « Les Etats-Unis ont fait cette expérience au Vietnam, la France en Algérie, la Russie en Afghanistan. Une armée peut battre une autre armée, pas un peuple. Elle peut seulement le détruire », explique le député démocrate Alexis Arbatov, membre de la commission de défense de la Douma. A force de vouloir gagner la guerre, le Kremlin devra-t-il, contraint ou pas, en passer par le génocide ?
JEAN-BAPTISTE NAUDET