Alors que les troupes russes continuent de bombarder Grozny et se sont encore rapprochées du palais présidentiel, à Moscou, le parti du leader ultra-nationaliste, Vladimir Jirinovski, a été pratiquement le seul, vendredi 13 janvier, lors d’une session de la Douma, à soutenir sans réserve la politique menée par Boris Eltsine, empêchant l’adoption de tous les textes proposés par le « parti de la paix ».

La Russie l’avait un peu oublié. En lançant le pays dans le bourbier tchétchène, Boris Eltsine l’a ramené sur le devant de la scène : Vladimir Jirinovski est désormais le principal soutien du pouvoir et du « parti de la guerre ». L’« épouvantail de l’Occident » avait certes déjà soutenu Boris Eltsine en approuvant l’assaut contre la Maison Blanche en octobre 1993, pourtant alors occupée par ses voisins « idéologiques ». Et il avait aussi permis l’adoption de la nouvelle Constitution russe, celle qui interdit désormais aux députés d’empêcher le massacre ordonné par Boris Eltsine en Tchétchénie. Mais le président avait alors, également, le soutien des démocrates du Choix de la Russie. Aujourd’hui, le parti de Jirinovski est seul ou presque à soutenir à la fois Boris Eltsine et son intervention en Tchétchénie.

Vendredi 13 janvier, au troisième et dernier jour consacré par la Douma, la Chambre basse du Parlement, à un débat sur la Tchétchénie, c’est son Parti libéral-démocrate de Russie (LPDR) qui batailla, avec succès, pour empêcher l’adoption de tous les textes proposés par le « parti de la paix », à savoir les députés du Choix de la Russie d’Egor Gaïdar et ceux du groupe réformateur Iabloko de Grigori Iavlinski. M. Jirinovski reçut bien, pour cela, le soutien de la grande majorité des députés communistes et de leurs alliés agrariens. Mais ces derniers, contrairement au chef du LDPR, restent pour l’instant des opposants résolus du président Eltsine. Tout cela explique, sans doute, pourquoi Vladimir Jirinovski a été reçu, à la veille du débat à la Douma, par le premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, honneur que n’a eu aucun autre chef de fraction parlementaire depuis des mois.

Alors que le nombre des morts parmi les militaires russes reste un des plus grands des secrets de la guerre, le gouvernement peut en effet être reconnaissant au parti de Vladimir Jirinovski. Celui-ci a repoussé, vendredi, l’adoption d’une loi obligeant la publication du nom des victimes. Un de ses membres a qualifié cette proposition de « torture morale pour la nation, qui sera officiellement obligée de pleurer devant ces listes ». Tel est le le grand problème de Boris Eltsine : pour mener une guerre de reconquête coloniale, à l’époque des télévisions et de l’humanitaire, il faut, soit instaurer la dictature, soit entraîner idéologiquement une part importante de la population. A défaut d’avoir les moyens de redevenir dictatorial, le pouvoir russe actuel explique ouvertement qu’il veut et doit devenir autoritaire « pour sauver la Russie ».

APOLOGIE DE LA GUERRE

Pourtant, malgré toutes ses menaces contre les médias et surtout les télévisions, le président russe n’a pas encore réussi à les museler. Alors, il a tenté une contre- offensive sur la chaîne qu’il contrôle le mieux, la plus largement diffusée, celle du premier canal de télévision, Ostankino. Un « reportage » sur la Tchétchénie, commandé à un célèbre extrémiste de droite, Alexandre Nevzorov, alias Choura, devenu député, y a été diffusé, à une heure de grande écoute. Spécialiste des films à la gloire du KGB dans sa lutte pour sauvegarder l’URSS, (il s’était illustré notamment lors de l’assaut contre Vilnius en 1991), Nevzorov est par ailleurs un scénariste doué.

Sa proposition de faire un film de propagande en Tchétchénie fut très vite acceptée par le Kremlin et, après avoir été reçu par le chef de l’administration présidentielle, Sergueï Filatov, il fut doté d’une garde et d’un blindé pour tourner aux côtés de l’armée russe. Le résultat fut techniquement excellent.

Dans cette apologie de la guerre en Tchétchénie, on entend des soldats promettre d’« exterminer la racaille » en proférant divers jurons guerriers. D’autres expliquent que « si on rend la Tchétchénie maintenant, la Russie partira en éclats » ; de jeunes recrues se disent volontaires pour le front. Si ces « héros » sont « trop peu nombreux pour un grand pays comme la Russie », c’est que celle-ci doit lutter à la fois contre l’Occident et contre les médias pour retrouver ses traditions, explique Choura. Le film a été vu avant sa diffusion par le président de la Douma, Ivan Rybkine, et par le premier ministre. Selon des journalistes, c’est le premier qui donna l’ordre écrit de diffusion que réclamait le président de la chaîne de télévision publique, Alexandre Iakovlev, l’ancien idéologue communiste, devenu celui de la perestroïka puis de la « Russie démocratique ».

Dans ses tentatives de redresser la barre de son aventure tchétchène, à la Douma comme sur le front idéologique, le Kremlin trouve ainsi sur sa route, pour l’aider, les plus extrémistes des nationalistes russes. Reste à savoir s’il s’agit d’une réaction de désarroi, de l’aboutissement d’un lent rapprochement tactique entamé il y plus d’un an ou d’une connivence profonde de gens dont les racines et l’éducation sont assez proches, quels que soient les différents chemins qu’ils ont ensuite parcourus.

SOPHIE SHIHAB

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