REPRISE EN MAIN. Un mois après le début de l’intervention russe en Tchétchénie, le ministre de la défense, le général Gratchev, aurait été désavoué en se voyant retirer la direction des opérations militaires, désormais placées sous le contrôle direct de Boris Eltsine. C’est du moins ce qu’a annoncé, mercredi 11 janvier, Vladimir Choumeïko, le président de la Chambre haute du Parlement. LE BUDGET de 1995 devra, par ailleurs, être révisé à la hausse en raison des dépenses militaires, mettant ainsi en péril l’octroi de crédits internationaux à la Russie. DJOKHAR DOUDAEV, le président tchétchène, acculé à des concessions à cause de l’inégalité des forces militaires en présence, s’est dit prêt, mercredi lors de sa première apparition publique depuis le 18 décembre, à discuter du statut de la République indépendantiste.

Un nouvel « organe suprême » est apparu, mercredi 11 janvier, à Moscou, apparemment pour préparer une seconde étape de la guerre en Tchétchénie. Grozny, la capitale, ayant déjà été à moitié détruite et occupée par l’armée, cette dernière pourra y être, très progressivement, remplacée par les « forces de l’intérieur ». Ce qui ne change pas grand chose, mais donne, dans l’esprit du Kremlin, une apparence plus présentable à son action.

A l’issue d’une réunion entre Boris Eltsine, le premier ministre Viktor Tchernomyrdine et les présidents des deux chambres du Parlement, il fut, en effet, annoncé que l’administration présidentielle devrait prendre le contrôle direct de l’état-major, qui serait retiré au ministère de la défense et donc à son chef actuel Pavel Gratchev. Ce qui est un premier pas vers la disgrâce officielle du protégé du président. Le ministre de la défense concentre en effet les critiques, non seulement du « parti de la paix », mais aussi de ceux qui, tout en approuvant l’intervention armée, critiquent la façon dont elle fut menée.

Sous le titre « le Kremlin commence à comprendre que tout ne peut être résolu par la force », les Izvestias affirment ainsi, jeudi, que Boris Eltsine a « sévèrement critiqué la conduite des opérations » et demandé que des mesures soient prises pour « commencer rapidement un processus de paix ». L’article se termine par une histoire dont la rumeur courait déjà à Moscou : Pavel Gratchev aurait trop bu, le 31 décembre, dans sa base militaire aux portes de la Tchétchénie, en recevant le premier vice-premier ministre Oleg Soskovets, un protégé de l’éminence grise du président, le chef de sa garde Alexandre Korjakov. Ce qui expliquerait l’ordre insensé qu’il a donné ce soir-là de lancer un nouvel assaut, non préparé, de chars sur Grozny, qui s’était traduit par une nouvelle hécatombe parmi les soldats russes.

LA GUERRE COÛTE CHER

La disgrâce pourrait toucher ainsi une poignée de « faucons », en plus du ministre de la défense, même si personne ne cite Alexandre Korjakov, qui se défend, jeudi, dans le journal Argumenti i fakty, d’intervenir dans la vie politique. Désormais, les décisions seraient prises, non plus par les 13 membres du Conseil de sécurité, mais par le Président, le premier ministre, qui depuis le début des opérations, faisait figure de « modéré», et les deux présidents du Parlement. Jeudi, ils n’ont fait que « discuter » de la réorganisation de l’armée, a dit l’entourage présidentiel. C’est seulement le président du Conseil de la Fédération, Vladimir Choumeïko, qui a annoncé la disgrâce de Pavel Gratchev au profit d’un état-major qui serait subordonné directement à l’administration présidentielle.

Le premier concerné, le chef de l’état-major Mikhaïl Kolesnikov, a en effet précisé qu’il n’avait pas été consulté et qu’il ne fallait pas se « hâter » de prendre des décisions. La sinistre « petite histoire » des Izvestias rend cependant difficile tout retour en arrière.

Une autre décision a en outre été prise jeudi par les quatre nouveaux « chefs supêmes ». Celle de réviser le budget pour tenir compte des dépenses de la guerre. Ordre a été donné au ministre des finances de préparer un nouveau budget « en cinq jours ». Et tant pis si, ni lui, ni le ministre de l’économie, n’ont pas, non plus, été consultés au préalable.

Mercredi, la Douma, la chambre basse du Parlement, a siègé à nouveau pour la première fois depuis ses longues vacances. Le résultat fut affligeant : le « parti de la guerre », à outrance ou « modérée », conduit ici par Vladimir Jirinovski, a entraîné la majorité, au milieu des imprécations contre les démocrates « achetés par Doudaev ». La séance doit reprendre vendredi. A Grozny pendant ce temps, le président Doudaev a refait une apparition, devant une soixantaine de journalistes réunis dans un quartier périphérique de la ville encore aux mains des Tchétchènes.

Affirmant que « les deux camps sont perdants » dans cette guerre, que les Tchétchènes « ne peuvent bien sûr pas la gagner mais ne se rendront pas », il a appelé à un cessez-le-feu, en suggérant, comme il l’avait déjà fait au début du conflit, que le statut de la Tchétchénie était négociable. A Moscou, on a estimé qu’il « n’a pas changé ses positions », comme l’ont annoncé les télévisions. Quand au « cessez-le-feu de 48 heures » offert par Moscou, il ne fut jamais vraiment appliqué. A son expiration, jeudi matin, notre envoyé spécial à Grozny, Dominique le Guilledoux, nous précisait que les tirs d’artillerie contre la carcasse du palais présidentielle et les bombardements sur les quartiers de la ville encore aux mains des résistants tchétchènes avaient repris de plus belle.

SOPHIE SHIHAB

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