Peu après l’annonce, lundi 9 janvier, par Boris Eltsine d’un cessez-le-feu de quarante-huit heures en Tchétchénie, les troupes russes ont repris, mardi matin, les bombardements sur le centre de Grozny. Réagissant à cette reprise des combats, le chef d’état-major des forces tchétchènes, Aslan Maskhadov, a qualifié de « tromperie » la proposition russe de suspendre les affrontements.

Pour la première fois depuis sa catastrophique décision de lancer l’armée en Tchétchénie, Boris Eltsine avait offert, lundi 9 janvier dans la soirée, un cessez-le-feu à ses ennemis. Mais dès mardi matin, les troupes russes reprenaient leurs bombardements sur le centre de Grozny.

L’offre du président russe avait pris la forme ambiguë d’un « appel », adressé dans la nuit, à ceux qui restent désignés sous le terme de « bandes armées illégales » opérant en Tchétchénie. Le gouvernement russe, « agissant sur les ordres du président de la Fédération », leur avait proposé un cessez-le-feu de quarante-huit heures, à compter de mardi à huit heures du matin. Cependant, dans le droit-fil du discours tenu depuis plus de cinq semaines par Boris Eltsine, cette offre semblait, formellement du moins, subordonnée à une reddition pure et simple de l’adversaire : les Tchétchènes sont, en effet, appelés, dans un seul mouvement, à « cesser le feu, quitter leurs positions et leurs blindés, déposer leurs armes et rendre les prisonniers pris durant les combats », indique le texte diffusé par l’agence Itar-Tass. ÉVACUER LES BLESSÉS

Pourtant, il pourrait bel et bien s’agir d’une offre camouflée de négociations, un terme récusé au Kremlin depuis le 15 décembre dernier et qui n’apparaît toujours pas, ni dans l’appel ni dans la « déclaration » du service de presse du gouvernement qui l’accompagne. Les premières indications qu’un cessez-le-feu était envisagé ont été données dès lundi, par le responsable des droits de l’homme du président russe, Sergueï Kovalev.

Ce dernier, de retour dans le Nord-Caucase après une rencontre à Moscou avec Boris Eltsine, qui ne lui avait pourtant guère laissé d’espoir, a fait savoir dans la soirée que le premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, avait accepté sa proposition d’instaurer un cessez-le-feu de quarante-huit heures. Dans l’esprit de l’ex-dissident, il s’agissait de permettre avant tout d’évacuer les blessés et d’enterrer les morts, comme prélude à des négociations. Dans le palais présidentiel de Grozny, que les troupes russes n’avaient toujours pas réussi à prendre, mardi, se trouvent en effet de nombreux blessés, à la fois tchétchènes et russes, ces derniers faisant partie des dizaines de prisonniers pris par les Tchétchènes durant les combats.

Les derniers prisonniers en date étaientt une cinquantaine de parachutistes capturés la semaine dernière dans le village de Goitchou, à 35 kilomètres au sud-ouest de Grozny. Ils faisaient sans aucun doute partie de ces troupes « fraîches et expérimentées » dont Moscou avait annoncé l’envoi après trois semaines de piétinement de son armada aux portes de Grozny. Parachutés dans ce village le 31 décembre, les militaires russes y ont été attaqués une semaine plus tard par des commandos tchétchènes et, après avoir eu deux morts et deux blessés, ont apparemment choisis de se rendre.

Dimanche, des hélicoptères russes avertissaient par hauts-parleurs les villageois qu’ils seraient bombardés si les prisonniers n’étaient pas rendus. Des milliers de femmes, enfants et vieillards habitants et réfugiés de Grozny- ont commencé à évacuer le village, alors que la plupart des hommes annoncaient qu’ils étaient « chez eux et n’avaient pas l’intention d’abandonner leur terre », comme l’avaient constaté les envoyés sur place de l’AFP. De son côté, une délégation de villageois partait expliquer à l’armée russe que ces prisonniers avaient déjà été transférés à Grozny et qu’il ne servait donc à rien de bombarder leur village.

Un tel fiasco est caractéristique de toute l’opération engagée par Moscou. La « nouvelle tactique », appliquée la semaine dernière, ne semble pas avoir radicalement changé la situation, même si elle a permis aux forces russes de « contrôler » les deux tiers de la capitale tchétchène. Les barrages d’artillerie, qui ont transformé le centre de Grozny, autour du palais, en zone dévastée, comme les milliers de fantassins et tireurs d’élite envoyés en soutien de l’avance des chars, n’ont toujours pas permis une prise du palais présidentiel, bâtiment noirci et troué d’obus, mais où flotte toujours le drapeau tchétchène.

Cette image a été montrée, lundi soir, par les télévisions russes, dont les correspondants ont pu s’approcher du palais, lors d’une première accalmie des tirs russes. Ils ont aussi montré un poste de commandement russe à Grozny, où un officier, l’air piteux et épuisé, tentait de se justifier en affirmant que « l’adversaire n’est pas moins bien armé » que les forces russes, qu’il est « parfois mieux entraîné » et qu’il faut « en tenir compte ». Recevant une communication radio, il annoncait, avec un vague sourire, que ses forces ont « progressé de cent mètres »

Pendant ce temps, quelques mères de soldats russes, envoyées à Grozny par leur comité, tentaient de reconnaître des corps gisant dans la ville, sous la protection de combattants tchétchènes. Le nombre exact des morts, qui se compte au moins en centaines, ne sera jamais connu, alors que les images d’enterrements en Russie emplissent désormais les écrans télévisés. Les rumeurs de limogeage imminent du ministre de la défense, Pavel Gratchev, se précisent, les cas d’insoumission de soldats russes se multiplient et le premier ministre devait rencontrer, mardi à Moscou, des représentants de la diaspora tchétchène, qui n’agissent cependant pas au nom des combattants.

La déclaration du gouvernement russe explique qu’il faut considérer les « conditions offertes » dans son appel comme une « dernière chance offerte au dictateur Doudaev et à son entourage », dont « les forces ont clairement subi une défaite ». C’est pourtant le contraire qui semble vrai.

SOPHIE SHIHAB

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