En répétant, et plutôt deux fois qu’une, qu’il s’agissait d’une affaire interne À la Russie, les Occidentaux ont donné le feu vert À Boris Eltsine. Même le silence aurait été plus digne. Bill Clinton a sans doute franchi les limites de la décence, vendredi 6 janvier, lorsqu’il prit sa plus belle plume pour demander À Boris Eltsine d’épargner… les civils. Comme si les chars russes avaient en face d’eux une armée régulière ! Pour les grandes puissances, le drame tchétchène reste une affaire « interne » À la Fédération de Russie, ce qui prélude À tous les renoncements.
Se souciant comme d’une guigne des mises en garde humanitaires internationales, le président russe n’a même pas fait semblant de négocier avec les représentants tchétchènes. Il n’a même pas décrété, comme savent si bien le faire les Serbes dans l’ex-Yougoslavie, une trêve de quelques jours, quitte À la transgresser quelques heures plus tard. Le palais doit tomber.
Si, avant de recourir À la manière forte, des solutions pacifiques étaient envisageables pour l’avenir des relations entre Moscou et Grozny, la logique du Kremlin ne peut maintenant conduire qu’À une poursuite de la guerre. Soudés autour de leur président, alors que ce dernier était de plus en plus contesté il y a seulement un mois, les Tchétchènes savent qu’il y va désormais de la survie de leur peuple. Ils se battront jusqu’au dernier ou ils fuiront, une nouvelle fois, leur pays montagneux. Et Boris Eltsine aura réussi lÀ où Staline lui-même avait échoué, lorsqu’il déporta massivement le peuple tchétchène, accusé, À tort, d’avoir collectivement collaboré avec l’envahisseur nazi.
Si les Occidentaux ne sortent pas grandis de cette crise, si Boris Eltsine a dévoilé sa nature profondément antidémocratique, les Russes, en revanche, ont montré d’étonnantes capacités de réaction. L’heureuse surprise est, notamment, venue de la diversité des origines de ceux qui se sont élevés contre l’invasion de la Tchétchénie :des intellectuels, bien sûr, dominés par la haute figure de Sergueï Kovalev, mais aussi des hommes politiques, comme l’ancien premier ministre Egor Gaïdar, des militaires de très haut rang, comme le dernier ministre de la défense de l’URSS, le maréchal Evgueni Chapochnikov, ou le bouillant général Alexandre Lebed. Et, encore, des industriels, des journalistes, de simples citoyens, des mères de famille qui ne comprenaient pas pour quelles raisons leurs enfants étaient partis dans cette « sale guerre ». Ce sont ces gens-lÀ que les démocraties devraient soutenir plutôt que de cautionner les foucades sanglantes du maître du Kremlin.