Le conflit est omniprésent dans les médias et, contrairement à l’Ouest, les principaux journaux télévisés du soir “ouvrent” la plupart du temps sur la Tchétchénie, le “JT” polonais terminant souvent ses reportages par le rappel d’un numéro de compte pour le versement de fonds humanitaires.
Accélérer la demande d’adhésion à l’OTAN
En Bulgarie, rapporte l’AFP, la presse de Sofia a même publié les voeux de fin d’année envoyés à sa famille par l’un des quatre volontaires bulgares partis se battre aux côtés des Tchétchènes. Et à Budapest, si la guerre en Tchétchénie disparaît parfois des titres, c’est pour céder la place à des commentaires sur le conflit dans la Bosnie voisine, rappelant la proximité des périls du post-communisme.
Tout en observant avec inquiétude les dérives russes en Tchétchénie, les chancelleries d’Europe centrale et orientale se sont longtemps montrées fort prudentes. Pourtant le ministre tchèque des affaires étrangères, Josef Zieleniec, s’est rapidement élevé contre “les méthodes de la Russie qui dépassent la légitime défense des affaires intérieures”.
Peu après, les présidents Vaclav Havel et Lech Walesa sont sortis de leur réserve, tandis qu’en Hongrie le gouvernement évitait toujours de se prononcer, laissant au porte-parole des affaires étrangères le soin d’exprimer la “préoccupation” de Budapest. Et si la Roumanie s’est elle aussi “réveillée” en tenant des propos plus vifs, c’est essentiellement à cause du contentieux entre Bucarest et Moscou, qui soutient tacitement la présence de la XIVe armée russe sur une partie du territoire de l’ancienne république soviétique de Moldavie, majoritairement peuplée de Roumains de souche, et annexée par Moscou en 1939.
Cette retenue s’explique d’abord par la frilosité des capitales occidentales qui ont longtemps fermé l’oeil sur l’intervention en Tchétchénie au nom du droit de la Russie à régler ses “affaires intérieures”. Une expression qui fait frissonner à l’Est tant elle rappelle l’euphémisme d’usage à l’époque soviétique pour laisser Moscou imposer son ordre dans son arrière-cour européenne.
“Le bon Dieu est loin mais la Russie est proche”
Faute d’un signal occidental, les pays de l’Est ont donc, eux aussi, adopté un profil bas, d’autant plus que l’ancien “grand-frère” dispose toujours de moyens de pression, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement énergétique. On se souvient encore, à Budapest, des coupures, aussi subites qu’inexpliquées, des livraisons de pétrole pendant les difficiles négociations sur le retrait de l’armée russe il y a seulement… quatre ans. “Le bon Dieu est loin mais la Russie est proche”, ironise amèrement, aujourd’hui, un commentateur magyar.
Mais la relative discrétion des pays d’Europe centrale et orientale dissimule, en fait, une préoccupation commune. Même si personne à Varsovie, Prague ou Bucarest ne le dit ouvertement, tous estiment que la guerre en Tchétchénie renforce la légitimité de leur demande d’accélerer le processus de leur intégration au sein de l’OTAN, pour combler le vide de sécurité laissé par la dispartion du pacte de Varsovie.
Si les chancelleries de l’Est évitent, pour l’instant, de relancer ce débat, c’est parce qu’elles estiment que le temps apporte de l’eau à leur moulin; la prolongation de la guerre en Tchétchénie sape chaque jour davantage l’argument selon lequel un raprochement de l’Est avec l’OTAN affaiblirait le président Eltsine face à ses adversaires “conservateurs” alors que le pilonnage incessant de Grozny démontre, au contraire, que le président russe est déjà largement otage des “faucons”.
Il est difficile, après le carnage de Grozny, de mettre sur le seul compte de l’hyper-sensibilité historique, les mises en garde des pays de l’Est qui redoutent, plus que d’autres, le réveil du nationalisme russe. “Il est grand temps de résoudre la question de la sécurité des pays au coeur du Vieux Continent”, insistait, début janvier, le président tchèque, Vaclav Havel. Avant de conclure : “Dans un an ou deux, il sera peut-être trop tard.”
RIOLS YVES MICHEL
Le Monde
lundi 9 janvier 1995, p. 3