La tragique évolution des événements en Tchétchénie provoque, en Allemagne comme partout ailleurs, de très grandes inquiétudes. Tandis que l’opinion publique est avant tout scandalisée par l’escalade de la violence et les bombardements sur les civils, c’est l’évolution des événements à Moscou qui préoccupe de plus en plus ouvertement les dirigeants allemands. Les réactions fort prudentes de l’Allemagne face à la crise tchétchène s’expliquent avant tout par le souci de ne pas affaiblir davantage Boris Eltsine. Vu d’Allemagne, celui-ci « incarne encore, tant bien que mal, le camp des réformes », comme l’explique Karl Kaiser, président de l’institut allemand de politique étrangère (DGAP). Mais la confiance qu’on continue à accorder, à Bonn, au dirigeant du Kremlin, est mêlée d’un scepticisme de plus en plus grand. « Nous avons été très tôt conscients que la crise dans le Caucase pouvait remettre en cause l’ordre constitutionnel et les réformes en Russie, et nous avons fait part de nos craintes aux dirigeants russes de manière très claire », explique-t-on à Bonn de source gouvernementale. D’après l’analyse en cours au ministère des affaires étrangères allemand, c’est le coût financier de la guerre qui pourrait représenter le facteur de déstabilisation le plus menaçant pour le pouvoir russe, et non une éventuelle extension géographique du conflit dans l’ensemble de la région du Caucase, qui paraît, selon un diplomate, « peu probable ».

Pas d’alternative

Cependant, on ne semble pas s’inquiéter outre mesure, à Bonn, des éventuels bouleversements politiques qu’un enlisement en Tchétchénie pourrait entraîner. En dépit des rumeurs en provenance de Moscou, « le sort politique de Boris Eltsine ne devrait être pas remis en cause », indique-t-on de source gouvernementale à Bonn. Les dirigeants allemands ne croient pas que l’éventuelle arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants en Russie pourrait provoquer un grave danger pour l’Occident, sous la forme, par exemple, d’une remilitarisation à outrance du pays.

Certes, des craintes de ce type ont été exprimées ici et là, notamment par Karl Lamers, porte-parole aux affaires étrangères du groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag. Mais, au ministère des affaires étrangères, on ne semble pas faire grand cas de l’hypothèse d’un « putsch » à Moscou, en soulignant que « les Russes ont d’autres soucis et que, au fond, il n’y a pas d’alternative aux réformes ».

LUCAS DELATTRE

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