L’affaire tchétchène n’est pas à l’honneur de l’Occident. Les réactions officielles face à l’offensive russe relèvent de la farce et dévoilent notre impuissance. Quand donc l’Occident tirera-t-il les leçons de ses échecs ? Quand donc sera-t-il capable de défendre de façon préventive les droits de l’homme, au lieu de s’enliser dans des tragédies qu’il n’a pas su conjurer ?

NOUS y revoilà ! Carnages, massacres, violations massives des droits de l’homme par l’armée russe, déplacements de populations civiles, risques d’épidémies : les expressions habituelles illustrent les quelques articles et commentaires alarmés. Les chars russes sont entrés en action en Tchétchénie et les Tchétchènes résistent courageusement. Les organisations humanitaires connaissent le scénario par coeur. Elles savent que la douleur, les cris et les larmes, l’amertume et la peur les attendent à Grozny. Elles s’apprêtent au départ. Toujours trop tard.

Chez nous, en Occident, les trois coups de la farce des réactions officielles ont été frappés et l’inefficacité joue son terrible premier rôle.

Les Américains évoquent l’éventualité d’une remise en cause de leur aide économique à Boris Eltsine. Les Allemands souhaitent monter une opération humanitaire (on pourra peut-être, tout de même, heureusement, sauver quelques vies). « Code de bonne conduite »

Les Français étudient « les moyens diplomatiques susceptibles de contribuer au règlement de la crise en Tchétchénie, notamment dans le cadre des mécanismes de la CSCE » dont on connaît la redoutable efficacité ! On croit rêver ! N’était-ce pas les mêmes Américains, les mêmes Allemands, les mêmes Français qui écoutaient ou qui faisaient semblant de croire le même Boris Eltsine lorsqu’il adhérait, voilà à peine un mois à Budapest, à un « code de bonne conduite » sur les aspects politico-militaires de la sécurité ? N’avait-on pas pensé au Caucase ?

Et l’on se prend à vouloir crier encore et toujours. Quand donc l’Occident se décidera-t-il à tirer les conséquences de ses échecs ? A quoi bon les erreurs de la Somalie, de l’ex-Yougoslavie, du Rwanda… si l’on doit à chaque fois revivre les scènes identiques d’un même mauvais scénario ? Acte un : le silence. Voilà plusieurs semaines que les chars russes stationnent en Tchétchénie en attendant l’assaut. Voilà plusieurs semaines que l’on sait à quoi s’en tenir des bonnes intentions eltsiniennes.

Mais tout se passe comme si les autorités occidentales vivaient dans l’espoir d’un règlement rapide de la situation. Laissez-nous ne rien faire en Bosnie, chers Russes, et nous ne vous critiquerons pas en Tchétchénie. Tuez qui vous voulez, comme vous voulez, pourvu que vous fassiez vite et l’on continuera de dire qu’il s’agit d’une affaire intérieure russe. Tel est notre premier et digne message. Et tremble le « groupe de contact ».

La force d’un prétendu destin

Acte deux : la crise dure, les victimes refusent de mourir en silence. L’opinion publique occidentale est alors alertée par les images retransmises sur leurs petits écrans. L’opinion publique occidentale découvre qu’une fois de plus ce sont des musulmans qui sont pris à partie. L’opinion publique occidentale devant laquelle on agite l’épouvantail du « péril musulman » n’aime pas voir mourir les enfants en direct. Acte trois : l’Occident entre à reculons dans la gestion de la crise, comme pour mieux s’y enliser, comme pour mieux se faire critiquer par la suite.

Combien faudra-t-il donc de crises, combien faudra-t-il donc d’échecs pour faire naître un Occident décidé à défendre les droits de l’homme à titre préventif ? Les conservateurs ont beaucoup critiqué la notion de droit ou de devoir d’ingérence. Mais ne vaut-il pas mieux gérer par anticipation les crises que l’on peut aisément prévoir plutôt que d’être acculé à l’intervention quand il est de toute façon trop tard pour éviter les massacres ? Ne vaut-il pas mieux intervenir politiquement en amont des dérapages militaires plutôt que de s’empêtrer après coup dans le ridicule des déclarations déplacées et inadaptées ?

N’y avait-il pas de pressions économiques à exercer sur la Russie avant le massacre ? On dispose des outils les observatoires ; on dispose des moyens de pression politiques ou économiques. Pourquoi donc s’acharner à s’exprimer trop tard pour que toujours le meilleur perde ?

La grandeur de l’Occident, sa mission doivent se révéler dans sa capacité à rejeter ces tragédies où la liberté ne résiste pas à la force d’un prétendu destin. Nous devons et nous pouvons nous opposer à ces scénarii de la honte : il n’y a pas de fatalité de la terreur. Surtout chez les musulmans proches de nous.

BERNARD KOUCHNER

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