LA nouvelle propagande russe est belle à regarder. Elle a le visage grave des madones vénitiennes, la chevelure ondoyante des mannequins américains, des yeux de biche slave, elle porte ses bijoux sans ostentation et elle s’habille chez les meilleures petites mains de Moscou si l’on en juge par le classique tailleur gris qu’elle portait, mardi, en présentant le journal télévisé du Kremlin sous le regard coquin de France 2. Il manquait un sourire à cette angélique créature, mais le caractère martial de l’actualité se prêtait mal aux épanchements de joie.

Quand nous sommes tombés en extase devant cette trouvaille de l’archéologie néo-stalienne, elle était en train de lire avec une exemplaire sobriété le dernier communiqué de l’état-major résumant les combats de la veille à Grozny : « L’opération de nettoyage de la ville se poursuit… Quelques dizaines de blindés ont été incendiés. Ce n’est pas l’oeuvre des milices populaires tchétchènes, mais celle de véritables mercenaires professionnels… Les bandits tchétchènes ont même utilisé des armes chimiques qui auraient pu faire des ravages dans la population… ». Défilaient à l’écran, sous son commentaire, les images des maisons de Grozny bombardées par les Russes.

C’était du beau travail. Il y aurait injustice à ne pas le récompenser à la prochaine remise des oscars du service public à l’ancienne. La seule émission qui puisse lui faire une relative concurrence est l’autre reportage clé en mains qui a été diffusé le même jour par la seconde chaîne d’Etat à propos des mêmes événements. On y apercevait, de loin, dans un paysage de neige, filmée de profil entre deux hommes qui tournaient le dos à la caméra, une vague silhouette de femme dont on nous a garanti qu’elle était tchétchène et honteuse d’avoir « poussé le vice » jusqu’à « faire semblant d’être enceinte » alors qu’elle « camouflait des armes sous son manteau » au moment où elle a été surprise en flagrant délit de banditisme.

Ces deux monuments d’objectivité édifieront beaucoup les futures générations russo-tchétchènes quand elles les découvriront dans leurs musées. Dans l’immédiat, il ne serait pas superflu d’en faire profiter La Cinquième ou Arte, qui commencent à bien se compléter pour les besoins de notre propre éducation. C’est ainsi que, grâce au magazine « Transit » d’Arte, nous avons retrouvé, mardi soir, cette femme énigmatique que nous avions, faute de mieux, baptisée Africa, l’autre jour, après avoir entrevu ses lèvres et le bout de son nez, sur La Cinquième, dans un dispensaire médical où, gravement malade, elle s’était obstinément refusée à dévoiler son visage et à s’exprimer devant la caméra. Cette immigrée clandestine a enfin consenti à nous préciser qu’elle ne sort de son trou, situé en Val-de-Marne, que lorsque la faim devient insupportable et qu’elle le fait en tremblant à la vue du moindre uniforme, parce qu’elle préfère mourir en France plutôt que d’être expulsée dans un pays où l’on a déjà assassiné son mari et ses deux enfants. Les musées de notre préhistoire contemporaine vaudront sûrement ceux de Tchétchénie.

ALAIN ROLLAT

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