Ces obstacles sont essentiellement dus à la météo. Les troupes russes, entrées le 11 décembre en Tchétchénie et qui devaient « encercler » Grozny quelques heures plus tard, ont été retardées par un « brouillard soudain » (ITAR-TASS). Et non pas, comme certains affrontements l’ont fait croire, par la résistance des populations locales (qui « ne soutiennent pas » les « criminels »). Le brouillard bloque la progression des blindés russes mais ne gêne pas les bombardements aériens. Il a fallu du temps au ministre russe de la défense pour être sûr que les avions qui attaquaient Grozny étaient bien les siens. Ce n’est pas évident.
En Tchétchénie, parfois, la situation « se complique » (Conseil national de sécurité russe, CNS). Le 22 décembre, ce « Conseil de sécurité » est en mesure d’établir que « les hommes de Doudaev ont fait eux-mêmes sauter les immeubles pour faire croire à un bombardement aérien russe ». Car les frappes aériennes russes ne visent pas des immeubles mais des « installations militaires » (Viktor Tchernomyrdine, premier ministre).
Pour renforcer le caractère stratégique des frappes, le président Eltsine (qui ne se cachait pas mais sort de quinze jours de « convalescence » après une opération « bénigne » du nez) ordonne, quelques massacres plus tard, d’« exclure les bombardements qui pourraient faire des victimes civiles ». L’aviation de l’armée russe (le président a annoncé, la veille, que les militaires « ne seraient plus engagés dans les hostilités ») utilisera des missiles guidés au laser qui ne font « pratiquement pas » de « dégâts collatéraux », c’est-à-dire civils. C’est encore oublier le « mauvais temps », qui empêche d’utiliser ces engins, mais toujours pas de bombarder.
Les autorités russes renoncent au plan de « blocus » de Grozny. D’autant plus facilement que la capitale a déjà été plusieurs fois encerclée selon les déclarations officielles. Les généraux russes en désaccord ne sont pas remerciés : on procède à une « réduction des structures ». Et les troupes de Moscou ne lancent pas pour autant un assaut sur la ville. Elles se livrent à une « approche graduelle » (O. Lobov, « secrétaire » du CNS). Cette approche feutrée consiste à promettre à Grozny le « destin de Carthage » (S. Chakraï, chef du nouveau « centre d’information provisoire »).
Informations « fiables » et « non fiables »
L’ex-premier ministre réformateur, Egor Gaïdar, s’étonne de ces divergences sémantiques. Il estime que Boris Eltsine est « renseigné » par l’ex-KGB, comme Mikhaïl Gorbatchev, avant sa chute. Il a l’« impression » de ne pas vivre « dans le même monde d’information » que Boris Eltsine. C’est exact. Le pouvoir dispose d’« informations fiables » (O. Lobov). Elles ne font jamais état de victimes civiles, à part les Russes « retenus par la force » dans Grozny. Quant au délégué russe aux droits de l’homme, Sergueï Kovalev, qui tente de jouer son rôle, il fait partie des « agents tchétchènes ». Certains députés russes sont, par ailleurs, accusés d’avoir touché « sept mille dollars chacun » (CNS, 19 décembre).
Les « informations non fiables » sont distillées par des« médias qui fonctionnent avec de l’argent tchétchène » (B. Eltsine). Les « informations fiables », celles du gouvernement, sont reprises par les médias d’Etat. C’est obligatoire. « Il ne s’agit pas d’une censure », car « il ne manquerait plus que cela après tout ces bombardements » (S. Chakraï).
En pleine « seconde phase » de « rétablissement de la paix » (B. Eltsine), il ne manquerait plus que le pouvoir russe mente…
JEAN-BAPTISTE NAUDET