En russe, Grozny veut dire « terrible ». Pourtant, la capitale tchétchène n’a rien de remarquable. Elle ressemble à beaucoup d’autres petites villes soviétiques, avec ses méchants immeubles du centre-ville alignés le long de larges prospekt (avenues), avec ses pavillons, ses cités de banlieue, ses faubourgs industriels pollués par les usines pétrochimiques et les raffineries.

Parfois, quelques maisons, abritées derrière des palissades, viennent pourtant rappeler le Caucase. Au centre de cette ville, qui comptait quelque 400 000 habitants avant le début des combats, trône le bâtiment de la présidence, symbole de la lutte en cours. C’est un grand immeuble morne de douze étages en béton, aux longs corridors, qui était destiné à accueillir et à montrer la domination des organes du Parti communiste local. Les alentours sont bordés d’immeubles de plus petite taille entre lesquels on peut se faufiler par des ruelles et des passages, bien connus des habitants et propices à la guérilla urbaine.

Si Grozny est « terrible », c’est donc avant tout à cause de son histoire. La ville fut fondée en 1818, lors de la conquête du Caucase par l’armée tsariste, sur les rives de la rivière Soundja, par le général Alexi Ermolov, réputé pour sa « politique coloniale brutale », selon les historiens officiels soviétiques. Alors fortifiée, elle servait de base aux expéditions punitives contre les Tchétchènes et les autres peuples montagnards qui ont poursuivi la résistance dans les montagnes, plus au sud. La ville a été baptisée « la terrible » par les Russes, précisément pour impressionner les « rebelles ». Apparemment avec le même succès à l’époque qu’aujourd’hui. Même si les montagnards considèrent parfois ce nom comme une offense, il n’a jamais été changé, ni au temps de l’Union soviétique, « amie des peuples », ni après la déclaration d’indépendance tchétchène, en septembre 1991. Les Tchétchènes préfèrent cependant l’appeler « Solja Ghali », la « ville de la Sounja».

Se développant avec la découverte du pétrole dans la région à la fin du XIXe siècle, Grozny a, très longtemps, été peuplée en majorité de Russes, venus travailler dans les industries pétrochimiques.

Armes vendues à ciel ouvert

Depuis l’« indépendance », peu de choses ont changé. Peu de noms de rue ont été modifiés. Elles sont toujours indiquées en russe, même si la population russe quittait peu à peu la ville, davantage en raison des difficultés économiques nées du blocus de Moscou que de l’hostilité des Tchétchènes. Seul le bazar était vraiment animé, gorgé de produits, notamment turcs. Et il comptait une nouvelle marchandise chère à la population locale : des armes vendues à ciel ouvert. Après la farouche résistance armée des Tchétchènes pour défendre une « capitale » créée contre eux, cette petite ville banale restera sans doute « la terrible », mais cette fois dans la mémoire des Russes.

JEAN-BAPTISTE NAUDET

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