Les forces russes ont continué, jeudi 29 décembre, leur offensive sur Grozny, la capitale de la République indépendantiste de Tchétchénie (Fédération de Russie). Malgré les promesses de Boris Eltsine, les bombardements avaient repris dès la veille. Les troupes russes se sont rapprochées du centre de la ville. Selon Moscou, il ne s’agit pas d’un « assaut » final mais d’une « approche graduelle ». Par ailleurs, les médias d’Etat russes seront désormais obligés de diffuser les informations officielles.

Il y a des promesses de Boris Eltsine qui sont immédiatement respectées et d’autres qui ne le sont pas. Ou bien, ce qui revient au même, il y a des ordres du président russe qui sont tout de suite exécutés par le ministère de l’intérieur, l’ex-KGB et l’armée, et d’autres jamais. D’humeur belliqueuse, M. Eltsine avait jugé mardi que la capitale tchétchène devait être « libérée le plus vite possible des éléments criminels », expression qui désigne les indépendantistes dans le nouveau vocabulaire russe, qui ressemble étrangement à l’ancien lexique soviétique.

Mercredi à l’aube, les forces russes sont passées à l’assaut « graduel » contre Grozny. Les troupes spéciales étaient à quelques kilomètres du centre-ville sur certains points du front, dans les faubourgs. Elles poursuivaient leur offensive, jeudi, après une sérieuse préparation d’artillerie.

Oleg Lobov, le « secrétaire » du Conseil national de sécurité (ironiquement rebaptisé « Politburo » par une partie de la presse russe), a expliqué que là où les troupes russes « peuvent entrer [dans Grozny] sans trop faire de victimes, elles doivent entrer, prendre possession de la ville quartier par quartier et faire peu à peu pression ». Ce « faucon » de l’entourage d’Eltsine a précisé que « cette approche graduelle ne veut pas dire que cela va durer un an ou un mois ». « Tout sera terminé à court terme », comme l’a demandé mardi le président russe, a-t-il assuré. « Il ne nous manquerait plus que la censure »…

Mais une autre promesse de Boris Eltsine n’a pas été respectée. Il avait « donné des instructions pour que les bombardements qui peuvent faire des victimes parmi la population civile de Grozny soient exclus ». Alors que l’aviation russe avait cessé de frapper Grozny depuis dimanche, plusieurs bombes ont été lâchées sur la ville peu après le discours présidentiel.

L’une d’elles a touché, mercredi matin, un orphelinat, épargnant miraculeusement près de 200 personnes des femmes et des enfants pour la plupart qui s’étaient réfugiées dans un abri antiaérien, selon les journalistes de l’AFP présents sur place. Jeudi matin, les bombardements semblaient se concentrer sur les positions tchétchènes dans les faubourgs de la ville. Il était très difficile d’obtenir un bilan des victimes civiles.

Les autorités russes ont catégoriquement démenti ces informations. « Il n’y a eu aucun bombardement. Il vous faut utiliser des sources plus fiables », a déclaré Oleg Lobov aux journalistes. Afin de fournir à la presse des informations « plus fiables », un nouveau centre de presse, baptisé « commission d’information et d’analyse sur le conflit en Tchétchénie », a été créé mercredi. Cette commission sera dirigée par le vice-premier ministre Sergueï Chakhraï. Les médias d’Etat, notamment les deux principales chaînes de télévision, seront obligés de diffuser les informations officielles. Il ne s’agit pas d’une censure, a expliqué M. Chakhraï : « Il ne nous manquerait plus que la censure après tous ces bombardements »…

Dans son discours, M. Eltsine avait affirmé qu’un « certain nombre de médias russes fonctionnent avec de l’argent tchétchène ». Le porte-parole du FSK (ex-KGB) a déclaré, mercredi 28 décembre, qu’une « enquête judiciaire est en cours contre certains médias russes », que son service de contre-espionnage « dispose d’une liste de noms précis », mais qu’il est « trop tôt pour les citer ». Les journalistes russes ont demandé que les noms des journalistes prétendument « achetés » soient rendus publics « pour préserver l’autorité de la presse russe et celle du président, qui a porté cette accusation ».

Incidemment, les autorités russes ont aussi indiqué, mercredi, qu’un autre engagement de Moscou ne serait pas respecté. Il s’agit de l’application du traité sur la réduction des forces armées classiques en Europe (CFE), dénoncé depuis longtemps par le ministre russe de la défense, Pavel Gratchev. Le ministère des affaires étrangères a jugé « discriminatoires » les limitations prévues dans ce traité signé en 1990. « Les restrictions empêchent la Russie d’assurer sa sécurité, spécialement dans la région instable du Sud », a dit un porte-parole de la diplomatie russe. Les « événements » de Tchétchénie rendent la situation « encore pire ».

JEAN-BAPTISTE NAUDET

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