Le président Boris Eltsine a présidé, lundi 26 décembre, une réunion du Conseil de sécurité à Moscou consacrée à la crise en Tchétchénie. Pour la première fois, les autorités de Grozny ont déclaré accepter des négociations sans exiger le départ des troupes russes. Les autorités russes faisaient en outre un bilan estimant à « mille morts » les pertes tchétchènes, ce qui est contesté par Grozny.

L’intervention militaire russe contre la petite République sécessionniste de Tchétchénie, au sud de la Fédération de Russie, continue de provoquer de sérieux remous politiques. Avant la réunion du Conseil de sécurité, qui a eu lieu lundi 26 décembre, le « parti de la guerre » et celui de la paix s’affrontaient de plus en plus ouvertement à Moscou. Le président russe, qui devait présider cette séance, jugée cruciale, de l’organe suprême chargé de la sécurité de l’Etat russe, ne s’était pas exprimé publiquement. Cependant, quelques signes semblent indiquer que les autorités russes veulent faire machine arrière. Le Conseil de sécurité devait ainsi étudier « un plan de règlement pacifique élaboré par les experts » de la présidence russe. Au même moment, le vice-président tchétchène, Zelimkhan Iandarbiev, cité lundi par l’agence Interfax, affirmait que Grozny était maintenant disposé à négocier sans que le départ des troupes russes constitue un préalable. M. Iandarbiev a assuré que les Tchétchènes étaient prêts à discuter d’une « confédération » avec la Russie.

Après avoir annulé son « message au peuple », annoncé pour samedi, Boris Eltsine doit faire face à une véritable levée de boucliers dans une partie de son entourage, alors que sur le terrain les troupes russes ont toujours autant de difficultés à progresser face à la résistance tchétchène. Selon un bref communiqué de son porte-parole, le président Eltsine toujours en « convalescence » quinze jours après une opération bénigne du nez « étudie en détail la situation autour de la Tchétchénie, ainsi que la réaction de l’opinion publique et des mass-médias ». Tout en soulignant la « réaction neutre » des pays occidentaux, le gouvernement russe a reconnu qu’une « inquiétude sur un possible enlisement du conflit se fait de plus en plus sentir ».

Démissions en série

Rentré d’une visite en Inde, le premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, avait réuni, dimanche, des membres du gouvernement et du Conseil de sécurité pour préparer la réunion de lundi. Les participants à cette réunion ont simplement reconnu que la situation se « compliquait » en Tchétchénie, mais aussi à Moscou, où les démissions s’accumulent. Après la fronde des membres de l’association « Militaires pour la démocratie », qui ont démissionné de l’appareil présidentiel, ce fut au tour d’Emile Païn, conseiller de Boris Eltsine pour les nationalités, d’annoncer, dimanche, qu’il avait renoncé à ses fonctions. Reconnaissant avoir changé d’avis, ce dernier s’est prononcé pour des négociations directes avec le président tchétchène, Djokhar Doudaev. Selon ce conseiller démissionnaire, « beaucoup dépendra des décisions qui seront prises lors du Conseil de sécurité », à la suite duquel le président Eltsine pourrait, enfin, s’adresser à la nation pour annoncer, éventuellement, un changement de politique.

Lors d’une manifestation contre la guerre, qui a réuni quelques centaines de personnes, dimanche à Moscou, l’écrivain Iouri Kariakine, l’un des membres du Conseil présidentiel, a appelé les membres de cet organe consultatif de personnalités qui sont, selon lui, « dans leur absolue majorité » contre la guerre, à « se réunir sans le président ». « Le conseil présidentiel est devenu un bouclier, personne ne nous demande notre avis, nous ne pouvons pas joindre le président », a déclaré M. Kariakine lors de la manifestation.

Pour sa part, le président du comité pour les droits de l’homme, Sergueï Kovaliev, qui se trouve toujours à Grozny, a de nouveau dénoncé, dimanche, la politique russe en Tchétchénie et a demandé des négociations. Des parlementaires russes et tchétchènes devaient d’ailleurs se réunir, lundi, dans la République voisine du Daghestan, pour des pourparlers.

Mais à Moscou, les partisans de la guerre ont joué tout le week-end une toute autre musique, tandis que les bombardements aériens aveugles sur Grozny se poursuivaient, tuant au moins une vingtaine de civils. Nikolaï Egorov, un des vice-premiers ministres russes, menaçait, pour la première fois, de lancer « une action armée dans les prochains jours pour prendre Grozny » si le régime indépendantiste ne se rendait pas. Moscou a aussi accusé les autorités tchétchènes d’« empêcher » la population civile de quitter Grozny, alors que les correspondants occidentaux sur place constataient, au contraire, que celle-ci continuait de fuir la capitale bombardée. Moscou a aussi annoncé prématurément, dimanche, que ses forces armées avaient pris le contrôle d’Argoun, à 15 kilomètres à l’est de Grozny, « tuant mille hommes » et achevant ainsi l’encerclement de la capitale tchétchène. Cette nouvelle « victoire », ainsi que le lourd bilan des victimes tchétchènes, ont aussitôt été démentis par Grozny.

JEAN-BAPTISTE NAUDET

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