Un pâté de cinq maisons, près du centre, avait été soufflé, lundi, sur quatre cent mètres à la ronde. Jeudi à l’aube, des incendies s’élevaient de la ville, ainsi que d’une des raffineries de Grozny, dans la banlieue nord-ouest. Alors que les éclairs zébraient la nuit, l’électricité, qui fonctionnait encore dans le centre, a été coupée vers minuit, pour être rétablie une trentaine de minutes plus tard.
Scènes de massacres
A Moscou, le « centre du presse du gouvernement », qui monopolise désormais les informations officielles, avait innové, mercredi, en annoncant à l’avance, « pour permettre à la population de fuir », les cibles qui seront visées dans la nuit à venir : « l’hôtel Kavkaz », une maison située sur la place centrale de Grozny, face à au plus haut immeuble de la ville, et le « Palais présidentiel ». Moscou prétend que cet hôtel, fermé depuis des mois, était « occupé par des mercenaires afghans, azerbaïdjanais et ukrainiens, ainsi que par des journalistes étrangers » alors que ces derniers cherchent d’ailleurs depuis des jours les premiers. Les dirigeants de Grozny ont répliqué en affirmant que les seuls occupants de l’hôtel étaient les vingt soldats et officiers russes faits prisonniers au premier jour de l’offensive.
Ni l’hôtel, ni le « Palais » de Djokhar Doudaev, n’ont été touchés, mais une des bombes est tombée à une centaine de mètres de ce dernier. C’est, apparemment, la précision maximum des bombes russes, dont aucune n’a atteint ces derniers jours les « objectifs stratégiques » visés. La ville, qui comptait 400 000 habitants, est désertée par la majorité de ses femmes et de ses enfants ayant des parents dans les villages de montagne où hors de Tchétchénie. Beaucoup de résidents russes, qui formaient, il y a quelques années encore, la majorité de la population, sont restés car ils n’ont pas où aller, la plupart étant des vieillards.
Le chiffre des victimes reste inconnu. Une équipe du CICR, qui s’était rendue pour la dernière fois, samedi à Grozny, avait alors parlé d’un millier de blessés, surtout dans les villages entourant Grozny, victimes des bombardements à l’artillerie des chars russes déployés à quelques kilomètres au nord de la ville. Mais aussi des tirs directs de certains soldats russes.
Des journalistes étrangers ont été témoins de scènes de massacres contre des civils fuyant une avancée de colonne de chars, dans un village où aucune résistance ne leur était opposée. Un autres cas a été rapporté au Monde par une source digne de confiance : huit Tchétchènes ont été fait prisonniers, leurs munitions s’étant épuisées, sur une route près du village Assinskoe, à l’ouest de Grozny, le premier jour de l’offensive russe. Trois jours plus tard, les corps de ces hommes ont été largués d’un hélicoptère sur le lieu même où ils avaient été pris.
Les chars russes poursuivent par ailleurs leur offensive terrestre, sur plusieurs axes au nord-est et au nord-ouest de Grozny. Sur l’un d’eux au moins, à Pervomaïski, la colonne de chars et véhicules divers, qui s’étend de façon continue depuis leur base de départ de Mazdok à 80 kilomètres de là, restait toujours bloquée, mercredi, par les combattants tchétchènes, là où elle s’était arrêtée le premier jour.
Le front s’élargit
Les résistants tchétchènes ne disposent, à la périphérie de la ville, que d’un millier d’hommes, répartis en quatre groupes, réellement entraînés et dotés d’armes capables d’infliger des pertes aux attaquants. Les autres sont des volontaires, qui évacuent les morts et les blessés, et guettent souvent l’occasion de récupérer une arme. Mais le front s’élargit, de nouveaux renforts russes arrivent et la résistance tchétchène pourrait céder d’un moment à l’autre expliquait, mercredi, un des participants aux premiers combats. « Tenez jusqu’au quatre janvier, le jour où se réunit le Congrès à majorité républicaine », conseillait aux Tchétchènes, selon cette source, un sénateur américain, égaré à Grozny, les premiers jours de l’invasion. Cela sera sans doute impossible. Mercredi, les ministres russes de la défense et de l’intérieur ont fait un pèlerinage auprès de Boris Eltsine dans sa « résidence de repos » près de Moscou, si l’on en croit le « centre de presse ». Ils ont reçu l’instruction de « ne pas ménager les forces pour rétablir le règne de la Constitution russe » en Tchétchènie.
Le ministre de la défense, Pavel Gratchev, est aussitôt reparti à Mazdok, où sont arrivés aussi des renforts : deux bataillons d’assaut et un régiment d’artillerie motorisé d’élite, qui doivent relayer sur le front des hommes démoralisés, transis de froid dans leurs chars et dont Moscou a reconnu, mercredi, pour la première fois, que onze d’entre eux ont été tués, lors d’une seule opération.
Un message de Boris Eltsine
Mercredi aussi, un nouveau « message de Boris Eltsine au peuple tchétchène » promettait à ce dernier que « ses droits et libertés seront respectés », affirmant même, comme une « information », qu’il « n’y aura jamais de nouvelle déportation comme sous Staline ». Mais seulement une fois que « la Constitution russe sera rétablie»« C’est à dire, jusqu’au jour où nous serons tous morts » ironisait, amèrement, un Tchétchène de Moscou.
SOPHIE SHIHAB