L’ancien dissident Sergueï Kovaliev, placé l’année dernière par Boris Eltsine à la tête d’un Comité présidentiel pour les droits de l’homme, a lancé, dans la nuit de lundi à mardi 20 décembre, un appel à la négociation, depuis Grozny, où il se trouve depuis la fin de la semaine dernière. « Les informations que nous avons recueillies nous prouvent que ce qui se passe ne peut déjà plus être qualifié de violation massive des droits de l’homme, mais de tragédie humaine à grande échelle. (…) Nous vous demandons d’arrêter immédiatement la guerre et d’entamer des négociations (…) », indique l’appel cité par la radio Echos de Moscou et signé par quatre autres personnes, dont trois députés de la Douma (1). « Le peuple tchétchène, comme tout autre peuple, peut se tromper dans le choix de ses chefs et de ses idéaux, mais cela ne donne à personne le droit de le bombarder et de lui tirer dessus (…). Les soldats et officiers russes ne veulent pas combattre contre le peuple de Tchétchénie et nous demandent de vous le faire savoir », écrivent les signataires.

M. Kovaliev a eu beaucoup de mal à rejoindre Grozny. Il a fait le récit de ces péripéties dans l’hebdomadaire Novaïa Egednevnaïa du samedi 17 décembre. Il a cherché à se rendre en Tchéchénie dès que les premiers chars russes sont entrés dans la petite République. Il s’aperçoit, alors, que les téléphones de son bureau et ceux de ses amis sont coupés « un câble endommagé », lui explique-t-on quand il veut joindre des responsables du ministère de la défense. Deux jours plus tard, il est éconduit quand il se présente en personne à l’état-major avec deux autres députés. Le soir même, lors d’une soirée dédiée à la mémoire de son ami Andreï Sakharov, il se plaint de ne pas avoir les moyens de remplir sa fonction de surveillance du respect des droits de l’homme. L’auditoire dépose des roubles sur l’estrade pour lui permettre de faire le voyage.

Le 14, M. Kovaliev s’envole dans un avion gouvernemental avec seulement deux autres députés « par manque de place », lui a-t-on dit, alors que l’appareil est pratiquement vide. En cours de vol, le pilote, gêné, annonce que la piste où il devait se poser est gelée et qu’il doit faire demi-tour pour Moscou. C’est seulement le lendemain que M. Kovaliev et ses compagnons atterrissent enfin à Narzan, en Ingouchie, avant de pouvoir se rendre à Grozny.

Dix ans de détention

Sergueï Kovaliev n’est pas un « eltsinien » comme un autre. Agé de soixante-quatre ans, il a passé de longues années dans un camp, près de Perm, dans l’Oural. Biologiste de formation, il a été, après 1975, un des fondateurs, avec Andreï Sakharov, du Comité de surveillance des accords d’Helsinki, qui avait été assimilé par les autorités communistes à une dangereuse organisation subversive.

En 1975, M. Kovaliev a été condamné à sept ans de camp de travail à régime sévère et à trois ans de relégation pour « agitation antisoviétique » pour avoir défendu les droits des catholiques lituaniens alors persécutés et participé à la Chronique des événements courants, un samizdat relatant les poursuites contre les dissidents. Après sa libération en 1984, il a continué à militer pour l’instauration de la démocratie en URSS, que ce soit au Parlement ou au Comité pour les droits de l’homme. Depuis, M. Kovaliev a apporté un « soutien critique » au président russe ; il a, par exemple, accepté la dissolution violente du Parlement en octobre 1993, mais il a désapprouvé le « nettoyage des culs noirs », ces opérations de police destinées à expulser de Moscou les Caucasiens et les ressortissants d’Asie centrale.

L’attitude de Sergueï Kovaliev est très significative des déchirements des libéraux russes : ils se sont battus pendant des années pour le droit à l’autodétermination, ils réprouvent l’utilisation de la force contre les « petits peuples » tentés par la sécession, mais ils craignent aussi que le démantèlement de la fédération russe, venant après la disparition de l’URSS, favorise la montée des tendances nationalistes et porte un coup sévère à une démocratisation balbutiante.

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