Dans le sovkhoze laitier « numéro 15 », situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Grozny, les petites maisons de brique rouge, entourées de grands portails verts, se succèdent le long de la rue principale, traversée par une dizaine de ruelles secondaires. Dans l’une de ces rues, lundi 19 décembre dans la matinée, c’est la consternation : six maisons, sur à peine une vingtaine, sont complètement éventrées et, dans l’une d’elles, des hommes se recueillent autour du corps de leur voisin de quarante-quatre ans, tué par l’explosion d’une roquette, alors qu’il partait s’abriter dans une cave.

Dimanche, de 21 h 30 à 23 heures, les forces russes, installées sur des hauteurs à trois kilomètres de là, ont pilonné les positions tchétchènes en contrebas, non loin du sovkhoze. « Je regardais la télévision, assis sur le canapé avec mon frère, quand tout d’un coup le mur derrière nous a éclaté », raconte Makhdi Aliev, voisin du défunt. « Attaques psychologiques » « Une partie du mur nous est tombée dessus, mais nous n’avons pas été blessés. Nous sommes partis, d’abord à la cave, puis chez des voisins, passer la nuit. Maintenant, je ne sais pas ce que je vais faire, ni comment annoncer la nouvelle à ma famille, réfugiée dans la montagne », ajoute-t-il, montrant du doigt la cuisine et la salle de bains, désormais exposées au froid, à la pluie et à la neige.

Avec quelques éclats de roquette dans le creux de la main, ramassés non loin de sa voiture, dont il ne reste plus que la carcasse, il poursuit : « A quoi ça sert, tout ça ? Il n’y a aucun objectif stratégique ici, nous ne sommes pas des combattants, nous restons tranquillement à la maison. » Dans le petit cimetière musulman, à l’entrée du sovkhoze, cinq hommes creusent à la pelle la terre gelée pour faire place à la nouvelle victime du conflit. Le pilonnage des forces russes a déjà fait sept morts parmi les habitants du sovkhoze, disent-ils en montrant autant de tombes de terre dépourvues d’inscription à l’entrée du cimetière.

Dimanche, en fin de journée, les forces russes avaient également visé, sans l’atteindre, la tour de télévision, à 15 km de la capitale. Lundi matin, les habitants du quartier d’Oktiabrskii, à 5 km de là, se sont rassemblés devant une maison éventrée. La propriétaire, une Arménienne de cinquante-quatre ans, visiblement choquée, regarde le poêle qui brûle encore dans ce qui restait de sa cuisine. « Ce sont des attaques psychologiques », affirme l’un des habitants, Salamou Idrissov, qui a vu les murs de sa maison fissurés et ses fenêtres brisées par l’explosion.

D’autres habitants de la capitale tchétchène sont du même avis. Beaucoup ont encore passé une partie de la nuit de dimanche à lundi éveillés, dans leur cuisine ou dans leur cave, après avoir entendu deux fortes explosions d’origine incertaine vers 1 heure du matin, ainsi que plusieurs passages d’avions au-dessus de la capitale. « Bien sûr ils nous font peur, même s’ils ne lâchent rien », indique une passante, Svetlana Kouchnepevna, qui attendait vaillamment le bus depuis plus d’une heure, lundi matin, pour aller travailler. « Ça fait déjà trois nuits que ça dure et que je ne dors pas », ajoute-t-elle. « Ca peut durer longtemps comme ça, sans qu’ils cherchent à prendre Grozny », commente un commandant tchétchène, Khasboulat Iounoussov, avant de conclure : « Ce sera plus pénible pour eux que pour nous : nous, nous sommes chez nous, tandis qu’eux, ils ont froid dans leurs tanks. »

MARIELLE EUDES ET CATHERINE TRIOMPHE

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