Un répit de quarante-huit heures, dû, apparemment, aux déboires des militaires, qui mènent le laborieux déploiement des chars russes en Tchétchénie, a été offert, jeudi 15 décembre, aux résistants de la petite République indépendantiste. Une ” adresse de Boris Eltsine aux habitants de Tchétchénie “, lue dans la soirée à la télévision, reporte à la nuit de samedi à dimanche l’ultimatum qui devait expirer jeudi sans que les Tchétchènes n’aient, bien évidemment, songé un instant à rendre leurs armes.
Le texte, distribué aux médias par le service de presse de la présidence, alors que la Russie ignore toujours qui a accès à Boris Eltsine, officiellement hospitalisé pour une opération de la cloison nasale, contient également une proposition en trois points : un ” cessez-le-feu ” et des négociations ” sans conditions préalables ” ; l’envoi d’une délégation russe ” plénipotentiaire et de haut niveau ” si ” Djokhar Doudaev accepte de diriger personnellement la délégation tchétchène” ; et des ” élections dont la date est à fixer “. Pour la première fois, le dirigeant tchétchène n’est donc plus considéré comme le chef, illégitime, de ” bandes criminelles “, même s’il n’a toujours pas droit au titre de président.
L’offre de négociations prévoit donc un cessez-le-feu. Les précédentes discussions à Vladikavkaz (Ossétie du Nord) se déroulaient, elles, en plein combat, au moment même où une des trois colonnes de chars russes entrées dimanche dernier en Tchétchénie se frayait un chemin vers la capitale, Grozny, à grand renfort de tirs d’artillerie et de bombardements aériens.
L’avancée des forces russes a marqué le pas face à la résistance d’une artillerie tchétchène qui a manifestement autant surpris Moscou que celle opposée par les populations ingouches, tchétchènes et daghestanaises, qui avaient bloqué la progression des deux autres colonnes.
Ce fut une des raisons qui amenèrent les représentants de Grozny à rompre, mercredi 14 décembre, les négociations de Vladikavkaz, l’autre étant l’insistance russe à les mener dans un cadre ” constitutionnel ” russe. La proposition d’une rencontre entre Djokhar Doudaev et un responsable russe ” de haut niveau ” reprend cette exigence, mais sous une forme atténuée.
Les premières réactions de Grozny à la déclaration de Boris Eltsine semblaient positives. Le président Doudaev avait, lui-même, deux heures plus tôt, déclaré qu’il restait prêt, ” comme toujours “, à des ” négociations au plus niveau ” avec la Russie.
Appelant les Tchétchènes à se battre ” jusqu’au bout ” pour défendre leur pays, il a, toutefois, évité de confirmer que l’indépendance n’était pas négociable, et souligné que les prisonniers russes, dont six ont été montrés sur les écrans de la télévision russe privée NTV, seront bien traités et ” nourris de conserves “. Sa réponse aux nouvelles propositions de Moscou était attendue vendredi.
Le ” parti de la paix ” se renforce
Les espoirs d’entrer dans un long processus de négociations restent, pourtant, fragiles. D’une part, le renforcement de l’armée russe aux portes de la Tchétchénie se poursuit. Le commandement militaire a indiqué, jeudi, que des unités ” bien formées ” étaient en cours d’acheminement vers les crêtes occupées par les chars russes autour de Grozny, à une distance qui varie de ” 8 à 10 ” kilomètres selon les Russes et de 10 à 40 selon les correspondants étrangers sur place.
D’autre part, l’offensive ” idéologique ” lancée par le Kremlin pour convaincre du bien-fondé de son opération se renforce aussi. Ainsi, le ” centre d’information provisoire ” du gouvernement russe a été critiqué et placé sous le contrôle direct du centre de presse du gouvernement, alors que des fonctionnaires de l’appareil présidentiel multiplient les conférences de presse pour expliquer que la ” démocratie russe ” est menacée par ceux qui critiquent le recours à l’armée en Tchétchénie.
Or, le ” parti de la paix ” se renforce, du moins dans l’opinion. Un sondage réalisé à Moscou par une équipe de sociologues montre que si, les 5 et 6 décembre, 58 % des habitants de la capitale réprouvaient l'” action armée “, ils étaient 70 % six jours plus tard. Entre-temps, la télévision et la presse ont pu diffuser des images de guerre, de destructions, de morts et de blessés, personne ne semblant prêter foi aux chiffres officiels des pertes russes (15 morts reconnus jeudi).
Dans les régions, certains dirigeants se montrent aussi réticents et soulignent qu’aucune unité locale n’a été envoyée de chez eux sur le front tchétchène. Quant aux déclarations officielles, elles se présentent de plus en plus sous forme de démentis. ” Le chef d’état-major russe, le général Kolesnikov, le vice-ministre de la défense Kondratiev et le général Mironov ne se sont pas opposés à l’opération “, a affirmé ainsi le ministère de la défense. ” La Confédération des peuples du Caucase [organisation non officielle] n’a pas créé de centres de mobilisation pour aider les Tchétchènes “, a déclaré, de son côté, le chef de l’administration présidentielle, Sergueï Filatov, réapparu jeudi 15 décembre, après un long silence qui inquiétait certains de ses administrés. Comme on s’inquiétait d’un subit départ en Suède, à la veille de l’invasion de la Tchétchénie, de l’adjoint de Boris Eltsine pour les affaires de sécurité, Iouri Batourine, qui, de notoriété publique, s’opposait au ministre de la défense et aux autres instigateurs anonymes de l’aventure russe en Tchétchénie. Le secrétariat de M. Batourine promettait que ce dernier ” serait à son poste vendredi “.