Après avoir réglé, par la négociation, les velléités indépendantistes de la République du Tatarstan, elle aussi ” russe ” et pétrolière, après avoir remis au pas la Géorgie, isolant ainsi Grozny de sa timide alliée turque, le Kremlin n’avait qu’une hâte : régler le ” cas tchétchène “.
Ce ne sera pas chose aisée. Dans ces montagnes du Caucase, où l’on aime les armes et la liberté, le puissant ” ours russe ” pourrait avoir le même problème qu’en Afghanistan. La guerre ne peut se gagner avec des bombardements aériens. Il faut engager _ au risque de pertes _ des hommes sur le terrain. Même si le rapport de force est manifestement en sa faveur, la Russie, qui reste une des plus grandes puissances militaires mondiales, a de grandes chances de s’embourber dans cette minuscule République d’un million d’habitants. D’autant que l’intervention a ressoudé une population, fortement armée, autour du président Djokhar Doudaev, auparavant contesté.
Déjà, cette invasion a réveillé les autres peuples du Caucase, qui se sont jadis longtemps battus aux côtés des Tchétchènes pour s’opposer à la colonisation tsariste. Moscou prend aussi le risque de voir se développer, sur son territoire, où vivent de nombreux Tchétchènes, un mouvement terroriste. Cauchemar du Kremlin depuis des siècles, la Tchétchénie pourrait donc bien le rester. Déjà en délicatesse avec le monde islamique, de la Bosnie au Tadjikistan, Moscou peut voir se consolider un front musulman anti-russe dans son propre pays et à l’étranger.
Même si la Russie semble avoir obtenu l’aval de Washington et un silence gêné des autres capitales occidentales, les dégâts pour son image internationale peuvent être considérables. Championne de la négociation et du ” droit des minorités ” (serbes) dans l’ex-Yougoslavie, la Russie montre à Grozny un visage peu séduisant : les droits des minorités pour les Russes et leurs alliés, la force pour les autres.
L’intervention en Tchétchénie pose, enfin, de graves questions sur la nature du régime russe. A un an et demi d’une élection présidentielle incertaine, Boris Eltsine, après s’être aliéné les ” conservateurs ” en faisant tirer sur le Parlement il y a un an, se retrouve isolé de sa famille démocrate, qui désapprouve vivement l’envoi des chars sur Grozny. Une fuite en avant lourde de menaces pour l’avenir du président russe ?