MOSCOU de notre correspondante /

Tout porte à croire qu’un oukaze de Boris Eltsine instaurant l’état d’urgence en Tchétchénie, république rebelle de la Fédération de Russie, sera rendu public au plus tard à l’expiration, jeudi 1 décembre à l’aube, de son ultimatum lancé quarante-huit heures plus tôt.Des ” parties en conflit ” auxquelles il était hypocritement adressé, l’opposition tchétchène, armée et financée par Moscou, a bien entendu répondu en annoncant qu’elle déposait les armes. Tout aussi prévisible, le président Djokhar Doudaev a réaffirmé que ” le peuple tchétchène ne renoncera pas à son indépendance, même si la Russie utilise toute la puissance de son armée “. Quand à l’état d’urgence, a-t-il ajouté, il ” voudra dire la guerre, qui d’ailleurs a déjà lieu “.Ces déclarations bravaches correspondent au moins autant à la réalité que celles du ministre russe de la défense, Pavel Gratchev. Pour démontrer, contre toute évidence, que l’armée russe ” n’intervient pas en Tchétchénie “, (alors que des ” frappes aériennes ” contre les aéroports tchétchènes sont menées depuis des mois), Pavel Gratchev a affirmé que ” si des paras russes étaient entrés à Grozny, l’affaire aurait été conclue en deux heures “.Le problème est que si personne ne conteste à la ” grande puissance russe ” la capacité d’investir une ville, voire de la réduire à néant, il est non moins clair qu’elle ne pourra maintenir ses troupes sans provoquer une guerre de partisans dans ce piémont des hautes chaînes caucasiennes. Avec le risque de voir les indépendantistes des Républiques avoisinantes prendre le relais pour engager cette ” deuxième guerre du Caucase ” dont il fut tant question il y a deux ans (1).

Alors que chaque maison de Tchétchénie abrite des armes, une centaine de ” volontaires ” Kabardes seraient venus rejoindre à Grozny les ” bataillons islamiques ” formés par le général Doudaev pour soutenir son ” armée régulière “. Les Avars du Daghestan se préparent à faire de même. Leurs dirigeants se sont prudemment abstenus de signer l’encouragement à Boris Eltsine adressé par leurs collègues des autres Républiques du Nord-Caucase. Cette aide serait autrement plus sérieuse que le renfort, assez mythique, qu’apportent à Grozny, selon Moscou, quelques ” mercenaires afghans ” _ sans doute ceux dont l’Azerbaïdjan cherche actuellement à se débarrasser. Mais le vivier de volontaires d’un nouveau ” Djihad ” contre les Russes pourrait s’élargir considérablement. Quant à l’opposition tchétchène, elle est en crise. Beaucoup de ses membres ont toujours déclaré qu’ils se retourneront contre les Russes si ces derniers intervenaient directement en Tchétchénie. Le phénomène s’était déjà produit lorsque des troupes russes avaient été envoyées à Grozny, au lendemain de la proclamation de l’indépendance tchétchène, à l’automne 1991. Les paras avaient été mis dans des bus et reconduits ” en Russie ” par une ” population en armes ” unanime dans l’adversité. C’était alors le Soviet suprême russe qui avait sauvé la face de Moscou en annulant l’oukaze ordonnant de réduire la rebellion. Trois ans plus tard, le scénario pourrait se reproduire, mais Boris Eltsine s’est trop engagé pour ne rien faire. Dès mardi, on apprenait de bonne source à Moscou que chaque unité du ministère de l’intérieur devait désigner six hommes pour se préparer à partir au Nord-Caucase. Boris Eltsine avait convoqué le même jour, pour la deuxième fois en 48 heures, son Conseil de sécurité qui a défini ” les mesures concrètes ” à prendre en prévision de la publication de l’oukaze sur l’état d’urgence. Celui-ci est exécutoire ” dès sa publication “. Le Conseil de la Fédération, la Chambre haute du Parlement, doit ensuite se réunir dans les trois jours pour l’approuver. Mais déjà, le président de cette Chambre, Vladimir Choumeïko, a annoncé que le Conseil de sécurité a ” privilégié les solutions pacifiques “. Qui pourraient être, selon son adjoint, de ” renforcer l’étau autour de la Tchétchénie “, quitte à poursuivre les ” frappes aériennes “. Les partis politiques russes commencent en outre à se faire entendre. Les communistes se sont déclarés contre l’intervention directe et pour des négociations avec le général Doudaev, de même que Vladimir Jirinovski. Ce dernier avait d’ailleurs été un des rares députés de Russie à avoir accepté l’invitation du général Doudaev à assister au dernier anniversaire de l’indépendance tchétchène. Mikhaïl Gorbatchev, qui n’avait envoyé l’armée soviétique à Bakou, Tbilissi ou Vilnius, n’a pas été en reste. Il s’est prononcé mardi contre une intervention russe, en dénonçant ” ceux qui agissent tant pour éviter toute escalade militaire en Bosnie, mais n’hésitent pas à bombarder leur propre pays “.

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