Correspondance particulière.
L’AVENIR de l’actuel président azerbaïdjanais Gueidar Aliev est-il compté? Et, avec lui, l’Azerbaïdjan, sur les marches sud de l’ex-URSS aux confins de l’Orient et de l’Occident, est-il menacé de nouvelles instabilités? La puissance tutélaire historique, la Russie, cherche-t-elle à revenir en force dans cette ex-république soviétique musulmane et riche en pétrole de par ses réserves en mer Caspienne, qui de plus est bordée par la Turquie et l’Iran?
Deux puissances régionales d’importance par leur influence culturelle, linguistique ou religieuse. L’Azerbaïdjan est majoritairement chiite, mais de langue turcophone avec une forte minorité azérie vivant en Iran.
La situation explosive de ces derniers jours à Bakou ne constitue pas une réelle surprise. Gueidar Aliev, soixante et onze ans, ancien premier secrétaire du PC azerbaïdjanais, à l’époque brejnévienne, qui fut également membre du Bureau politique du PCUS, a appelé, mardi soir à la télévision, ses fidèles à le soutenir devant l’insurrection survenue à Gandja, fief de Sourat Gousseïnov.
Son premier ministre, qui aujourd’hui semble donc conduire les troupes rebelles, avait déclenché en 1993 la rébellion fatale au sort de l’ex-président Eltchibey, le prédécesseur d’Aliev. Il avait ainsi permis à ce dernier de prendre en main la destinée de l’Azerbaïdjan. Moscou voyait, avec l’arrivée de Gueidar Aliev, le moyen de reprendre pied après une période politique turcophile d’Eltchibey.
Mais au fil du temps, les liens que le Kremlin voulait plus étroits entre la Russie et l’Azerbaïdjan ne paraissaient pas devoir se resserrer. Par exemple, la proposition d’une «voie russe» au conflit du Nagorny Karabakh, qui oppose Bakou et Erevan depuis six ans pour le contrôle de ce territoire administré par les Azerbaïdjanais mais où la majorité de la population est arménienne, était implicitement rejetée par Bakou. Les voisins géorgiens de Gueidar Aliev ont su «comprendre» la nécessité de la présence de troupes russes d’interposition à propos du conflit abkhaze.
Moscou voulait également un contrôle des frontières sud de l’Azerbaïdjan (Turquie, Iran) par des militaires russes, etc. Là encore, peu de réussite.
Mais la goutte d’eau récente qui a fait déborder le vase est sans doute l’accord pétrolier signé par Aliev le 20 septembre dernier à Bakou et qualifié de «contrat du siècle». La BP (British Petroleum, société pétrolière britannique transnationale) avec d’autres firmes occidentales se sont taillées la part du lion, tandis que la firme Loukoi ne reçoit que 10% des parts dans le consortium international. Ce consortium doit remettre en état les installations obsolètes des forages de la mer Caspienne et pomper de l’or noir et le gaz sur de nouvelles zones offshore.
Pour Gueidar Aliev, ce contrat signifiait une plus grande indépendance économique et donc politique. La Russie faisant de son côté connaître son opposition à un tel projet qui porte sur l’extraction de quelque 500 millions de tonnes en trente ans.
Deuxième anicroche. Le sommet arméno-azéri entre les présidents Levon Ter-Petrossian et Gueidar Aliev, début septembre dans la capitale russe, n’a pas abouti à un accord entre les deux belligérants, par ailleurs exsangues, et dont les économies sont vacillantes, écrasées par les poids du conflit et de ses conséquences tragiques pour les populations.
Les visites en Turquie, en Iran et en Arabie Saoudite du chef de l’Etat azerbaïdjanais ne devaient-elles pas, là encore, faire sourciller le Kremlin et ses diplomates?
Dès lors, le président Aliev se trouvait confronté à une double opposition, celle d’«ennemis extérieurs et intérieurs», comme il l’a lui-même affirmé. Les événements s’enchaînaient ensuite: évasion le 22 septembre de prison de quatre opposants au régime dont l’ancien ministre de la Défense, Raguim Gazziev. Assassinats du vice-président du Parlement, Afiyaddin Kjalilov, et du colonel Chamsi Raguimov, deux proches de Gueidar Aliev, alors que ce dernier se trouvait à New York à l’Assemblée générale des Nations unies.
Aliev, contraint de rentrer précipitamment à Bakou, a tout de suite «lu» le message et affirmé que ces deux actes étaient liés et visaient à déstabiliser son pays et bloquer l’indépendance économique de l’Azerbaïdjan.
Aliev semble déterminé à reprendre la situation en main. Mais pour combien de temps? Un scénario semblable à celui de la Tchétchénie proche allait-il être mis en place sur les bords de la Caspienne? En Tchétchénie, république du nord Caucase indépendantiste, mais dépendant officiellement de la Fédération de Russie, l’opposition est soutenue par Moscou contre le général président tchétchène Djorkhar Doudaïev. Le conflit du Karabach actuellement en veilleuse par un cessez-le-feu quasi respecté va-t-il reprendre? La poudrière caucasienne semble une nouvelle fois prête à s’enflammer. Pour le compte de qui?
JEAN ROYANS