STOCKHOLM de notre correspondant en Europe du Nord

Par 60 voix contre 27, le Parlement estonien a voté, lundi 26 septembre, une motion de censure contre le gouvernement de Mart Laar, qui a présenté sa démission. Ce vote de défiance fait suite à une série de scandales politico-économiques qui ont secoué la petite République balte et qui avaient déjà conduit les sociaux-démocrates et les libéraux à se retirer de la coalition au pouvoir depuis octobre 1992.

La crise actuelle est la conséquence d’une affaire de commerce illicite de devises à grande échelle. En juin 1992, l’Estonie introduit sa propre monnaie, le ” kroon ” (couronne), et organise alors dans le pays une collecte des roubles en circulation, désormais sans valeur. L’opération permet de recueillir 2,3 milliards de roubles qui devaient être restitués à la Russie. Moscou ne manifestant guère d’empressement à récupérer ce qu’on appelle ici ” la montagne de billets “, certains dirigeants de Tallinn _ dont le gouverneur de la Banque centrale et, peut-être, Mart Laar _ décident en secret, avec l’aide de nombreux intermédiaires peu scrupuleux, de mettre en quelque sorte cette ” montagne ” aux enchères. Les grosses coupures (soit environ 1,5 milliard de roubles) rapporteront ainsi 1,6 million de dollars. Quant aux petites coupures, apparemment plus difficiles à marchander, elles sont vendues à des prix variables et… au kilo ! Selon la presse estonienne, quarante-huit tonnes de roubles seront écoulées de cette façon et personne ne sait exactement qui a empoché les bénéfices.

Après avoir d’abord nié ces ” rumeurs “, en insistant sur le fait qu’il n’était pas chef du gouvernement à l’époque, Mart Laar avait fini par admettre, début septembre, que ces transactions avaient bien eu lieu. Devant le Comité de la réforme monétaire qu’il préside, il a expliqué le curieux cheminement des roubles, mais s’est refusé à donner les noms des intermédiaires et des ” acheteurs “. Le premier ministre n’a, toutefois, pas démenti les informations selon lesquelles le principal acquéreur serait la Tchétchénie. On sait en effet qu’un avion _ au moins _ ” plein à craquer de billets ! ” a décollé en 1993 de l’aéroport de Tallinn à destination de la petite République sécessionniste de la Fédération de Russie.

Le dirigeant tchétchène, Djokhar Doudaev, commandait, il y a quelques années, les troupes de l’ex-URSS stationnées dans la ville de Tartu. Ses ” bonnes relations ” avec les Estoniens lui ont sans doute permis d’acheter ces quelque 2 milliards de roubles que Tallinn cherchait à écouler.

La démission de Mart Laar, âgé de trente-quatre ans, et dont la politique de réformes n’est pas vraiment contestée, intervient à cinq mois des élections législatives. Il est donc vraisemblable que le président de la République, Lennart Meri, va choisir maintenant un chef de gouvernement ” intérimaire ” chargé d’expédier les affaires courantes jusqu’au scrutin de mars 1995.

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