ZNAMENSKOIE (République tchétchène) de notre envoyé spécial
En tchétchène, au revoir se dit ” Reste libre “. Ce peuple du Caucase aux traditions guerrières, se dit amoureux de la liberté. Mais le combat tourne aujourd’hui à la guerre fratricide dans la petite république musulmane au sud de la Russie (130 000 kilomètres carrés et 1,2 million d’habitants). ” On peut dire que la guerre civile a commencé “, déclare, dans son fief de Znamenskoie, Oumar Avtourkhanov, le leader de l’opposition. Le président de la Tchétchénie, Djokhar Doudaev, a unilatéralement proclamé, en 1991, lors de l’effondrement de l’URSS, l’indépendance de cette république autonome de la Fédération russe. Dans la capitale, Grozny, M. Doudaev poursuit un combat centenaire contre ” l’impérialisme ” de la Russie, qui a mis des dizaines d’années à conquérir, au 19 siècle, ce territoire adossé aux montagnes du Caucase où chaque homme, dit-on, est armé.
A Znamenskoie, un bourg du Caucase de quelques milliers d’âmes, situé à 70 kilomètres au nord de la capitale, l’opposition au régime de Djokhar Doudaev, plus ou moins regroupée dans un ” Conseil provisoire tchétchène ” dirigé par M. Avtourkhanov veut abattre la ” dictature ” du bouillant président, qui a dissout le parlement en avril 1993. Armes à la main _ vraisemblablement fournies par Moscou qui craint que la Fédération russe ne subisse le sort de l’URSS _, l’opposition au régime du président Doudaev demande que la population soit consultée par référendum sur l’indépendance et réclame des élections libres que le président Doudaev n’est peut-être pas en mesure de gagner. L’actuel président a certes été élu avec 8,5 % des voix en 1991, mais son pays est soumis à un sévère blocus économique de la Russie.
Après les affrontements limités du début septembre (au moins une dizaine de morts) entre les forces du gouvernement de Grozny et les opposants qui ont appelé au renversement militaire du régime, un calme précaire règne en Tchétchénie et aussi une certaine confusion.
Des kalachnikovs et des chars
Chaque district a dressé ses barricades et a fait plus ou moins allégeance à l’une des parties en conflit. Mais ces hommes qui, à deux kilomètres au nord du fief de l’opposition, tiennent un barrage armés de bazookas et de kalachnikovs ” ne veulent être ni avec Doudaev, ni avec nous “, affirme un opposant. ” Ils sont avec Doudaev, assure un autre. ” Ils ne savent pas avec qui ils sont “, tranche un troisième. La population passe tranquillement d’un côté à l’autre.
A part les rafales perdues que chacun tire pour s’amuser, le seul véritable danger menaçant celui qui circule dans la région reste de percuter vaches, moutons et chevaux qui se promènent eux aussi très librement sur les routes et dans les villes. ” Aujourd’hui, nous avons entraîné nos hommes à tir réel. Nous les préparons aux combats de rue “, explique, à Znamenskoie, Rouslan Martagov, le porte-parole du conseil provisoire. ” Nous ne pouvons vous montrer ces secrets. C’est notre tactique “, ajoute-t-il. Après les affrontements de début septembre l’opposition a annoncé avoir formé trois nouvelles ” divisions “. Pour l’instant, ses forces seraient, ici, de près de 700 hommes. Le Conseil provisoire campe dans l’ex-mairie de Znamenskoie où s’entassent aussi des hommes pas tous en uniforme, souvent débraillés, mais armés jusqu’aux dents de kalachnikov, parfois neuves, de baïonnettes et autres grenades négligemment glissées dans les poches. Le téléphone avec Moscou ne fonctionne pas ou peu, mais les militaires disposent de moyens radio de l’ex-armée soviétique.
Peint sur un mur devant le Conseil provisoire, un portrait de Lénine au front criblé de balles a servi de cible d’entraînement. Des transporteurs blindés armés de mitrailleuses lourdes et quatre chars russes (T. 62)sont garés. Leurs numéros ont été peu discrètement camouflés à la peinture. Les villageois s’assemblent ici pour discuter, dans un va-et-vient désordonné de soldats qui affirment ne pas être payés, transportés dans des camions militaires russes souvent presque neufs. Le Conseil ne reçoit pas d’aide de la Russie qui, cependant, ” paie les salaires des fonctionnaires et les retraites, car nous sommes membres de la fédération “, dit le porte-parole de l’opposition.
Malgré cette aide et cet équipement militaire, les affrontements de début septembre semblent avoir tourné à l’avantage du pouvoir, qui a repris Argoun, un village situé à 20 kilomètres de la capitale. ” Doudaev n’a plus bougé depuis la prise d’Argoun. Nous ne nous attendons pas à ce qu’il nous attaque. Il a peur de déclencher la guerre totale “, dit le porte-parole du Conseil. Malgré des mois de tension et d’escarmouches, l’opposition estime avoir le temps de son côté. ” La rivière trop rapide n’atteint jamais la mer “, dit un de ses responsables, citant un proverbe tchétchène, avant d’en ajouter un autre : ” Seule la guerre arrête la guerre “.
Oumar Avtourkhanov, le président du Conseil provisoire, et ex-officier qui dirige la région, minimise la défaite d’Argoun : ” Ils ont peut-être plus d’hommes que nous là-bas “, dit-il. ” Doudaev ne peut mener un vrai combat. Il n’a pas assez de forces pour cela. Il paie près de 1 000 mercenaires étrangers car la plupart des Tchétchènes ne veulent pas se battre contre leur propre peuple “, affirme-t-il. ” Nous voulons faire de la propagande pour expliquer aux gens que Doudaev n’a aucune chance. Mais s’il est impossible d’obtenir sa démission, s’il veut se battre contre nous, nous sommes prêts “, menace M. Avtourkhanov.
Rouslan Khasboulatov est rentré au pays
L’ancien président du parlement russe et opposant de Boris Eltsine, le Tchétchène Rouslan Khasboulatov, de retour dans son village natal de Tolstoï Iourt (20 kilomètres au nord-ouest de Grozny) ” peut être un des leaders de l’opposition “, dit le chef du Conseil provisoire, mais ” il dirigeait un processus de paix ” qui ne semble plus d’actualité. A Grozny pourtant les responsables du régime semblent sereins. ” Il n’y aura pas de guerre civile car les Tchétchènes ne veulent pas se battre entre eux, dit le ministre tchétchène de l’information, Movladi Oudougov. La seule guerre possible, ajoute-t-il, est entre la Russie et la Tchéchénie “. Le président Doudaev, pourtant, après avoir menacé la Russie de livrer la ” guerre sainte “, ” de l’engloutir dans une catastrophe nucléaire “, a évoqué, le 8 septembre, ” d’une troisième guerre mondiale “.