Le président tchétchène, Djokhar Doudaïev, a répondu dans le style qui lui est propre aux fortes pressions exercées par la Russie contre son régime : il a décrété, jeudi 11 août, la mobilisation générale des hommes de quinze à cinquante ans, à la demande du Congrès des peuples tchétchènes, réuni à Grozny dans une atmosphère de grande exaltation et résolu à s’opposer à l'” agression russe “. Ce n’est pas la première fois que le petit général d’aviation, qui a proclamé en 1991 l’indépendance de sa république, est menacé. A chaque fois, il a réagi en criant très fort au loup, et en menaçant à son tour _ tactique qui lui a jusqu’à présent assez bien réussi. Jeudi encore, il a averti que ” si la Russie poursuivait sa politique actuelle, elle courait au désastre “, et à ” la guerre dans tout le Caucase “.
Paradoxalement, Boris Eltsine, qui s’est exprimé pour la première fois sur le sujet avant de s’embarquer jeudi pour une ” croisière de travail ” sur la Volga, a abondé dans le même sens. ” Une ingérence armée en Tchétchénie est inadmissible, a ainsi déclaré M. Elstine. Nous avons réussi à éviter les affrontements nationaux en Russie uniquement parce que nous nous sommes abstenus de recourir à la force. Si nous enfreignons ce principe à l’égard de la Tchétchénie, le Caucase se soulèvera. Il y aura tant de pagaille et de sang que personne ne nous le pardonnera. ” En tenant ce langage, le président russe semblait en fait s’adresser à ceux qui, au sein de la nébuleuse du pouvoir moscovite, semblent désireux d’utiliser les grands moyens pour faire rentrer la Tchétchénie dans le rang et ont selon toute apparence préparé le terrain en lançant une offensive médiatique sans précédent contre les Tchétchènes en général et le général Doudaïev en particulier.
Cependant, M. Eltsine ne s’est pas contenté de tenir ces propos rassurants. Le regard soudain illuminé d’une lueur de ruse joyeuse, il a ajouté avec son franc-parler habituel : ” En même temps, l’opposition à Doudaïev se renforce. Donc, dire que nous n’exerçons aucune influence, cela je ne le dirai pas… ” ” Ne dors pas cosaque “… ” L’opposition ” en question est essentiellement représentée par Omar Avtourkhanov, un dirigeant local du district de Nadterechny qui a constitué un Conseil provisoire et nommé un gouvernement, et qui prétend contrôler la plus grande partie du territoire tchétchène. En réalité, il tire son principal atout des sommes d’argent mises à sa disposition par la Russie, qui lui permettent de commencer à distribuer des subsides aux pensionnés. Mais, à en croire divers observateurs sur place, sa crédibilité et sa popularité restent très faibles. La télévision russe affirme cependant que des centaines de volontaires armés continuent à se rallier à lui, tandis que les autorités de Grozny assurent qu’il s’agit en fait d’éléments infiltrés par la Russie. D’autre part, des groupes de Cosaques établis dans des territoires jouxtant la Tchétchénie affirment leur intention de remettre de l’ordre dans la république rebelle. La situation est d’autant plus délicate que, de l’avis général, une intervention armée russe souderait les rangs des Tchétchènes contre l'” envahisseur “. Un autre opposant, Rouslan Labazonov, qui promettait il y a peu de ” couper le cou à Doudaïev “, explique ainsi qu’il sera le premier à défendre son pays si la Russie y introduit des troupes…
Dans cette atmosphère de psychose de guerre, il est donc plus difficile que jamais de faire la part des mots et des faits. Jeudi, le quotidien Sevodnia, avec une pointe d’humour, résumait assez bien la situation vue de Moscou, à travers sa ” citation du jour “, empruntée à Alexandre Pouchkine : ” Ne dors pas, Cosaque, dans les ténèbres de la nuit. Au-delà de la rivière, le Tchétchène rôde. ”