L’anarchique démocratie qui se maintenait vaille que vaille dans la République tchétchène depuis sa proclamation d’indépendance en octobre 1991 a pris fin : à l’aube du vendredi 4 juin, un char suivi de blindés transportant la garde du président Djokhar Doudaev a tiré contre les bâtiments de la place du Cheikh Mansour (ex-place Lénine), où s’étaient retranchées les diverses forces de l’opposition _ les députés du Parlement officiellement dissous, le Conseil municipal, les partis d’opposition démocratique, ainsi que les policiers et autres éléments des forces armées qui avaient pris leur parti.

Les affrontements de la journée ont fait de dix à quinze morts selon l’opposition _ trois, selon M. Doudaev, dont la Garde a promené en ville soixante prisonniers lors d’une marche de la ” victoire “. Celle-ci a surtout consisté à empêcher le ” référendum ” que l’opposition avait préparé pour le 5 juin, espérant qu’une majorité se prononcerait pour elle.

Depuis la mi-avril, en effet, deux manifestations hostiles et permanentes se tenaient dans la capitale, Grozny _ des manifestations semblables à celles qui avaient abouti aux guerres civiles en Géorgie, fin 1991 et au Tadjikistan, en 1992.

Chez les Tchétchènes, on pensait qu’un tel dénouement serait impossible, en raison de la forte tradition du ” prix du sang ” _ version locale de la vendetta _ et du respect dû aux ” anciens “, les vieillards aux barbes blanches qui, assis sur des chaises avec leurs chapelets, formaient une haie protectrice autour de chacune des deux manifestations. Celle du président Doudaev comptait surtout des villageois amenés de leurs montagnes, toujours fiers de l’ex-général de l’aviation stratégique soviétique qui les a conduits à l'” indépendance ” ; celle de l’opposition, plutôt l’intelligentsia de la ville, y compris quelques Russes, et tous ceux qu’elle a gagnés à sa cause en raison de la crise économique et du non-versement des salaires. Cette opposition se déclare elle aussi ” indépendantiste ” et accuse souvent le général-président d’être manipulé par ses anciens patrons soviétiques. Djokhar Doudaev, lui, fait _ non sans succès auprès de ses partisans _ l’amalgame entre son opposition démocratique et les anciens apparatchiks tchétchènes réfugiés à Moscou _ au premier rang desquels il place le président du Parlement russe Rouslan Khasboulatov.

Dans un ” ultimatum “, lu vendredi à Grozny, le ” peuple ” a été invité à livrer aux autorités trente personnalités, dont M. Khasboulatov, le président du Parlement et les chefs des partis démocratiques _ entrés en ” clandestinité “.

En même temps, la radio affirmait que les troupes russes, présentes en force dans l’Ingouchie voisine, se concentraient à la frontière tchétchène _ le moyen habituel du général pour rassembler les Tchétchènes autour de lui.

Leave a comment