Non contente d’avoir exporté ses talents dans la plupart des capitales d’Europe de l’Est, la redoutable ” mafia tchétchène ” étendrait-elle déjà ses ramifications jusqu’en Grande-Bretagne ? Le sort macabre réservé à deux frères originaires de cette remuante petite République du Nord-Caucase, en ” mission ” à Londres, n’aura nullement étonné les policiers moscovites, désormais habitués à la criminalité la plus brutale, mais il ouvre sans doute de nouveaux horizons aux enquêteurs de Scotland Yard.

L’une des deux victimes, Rouslan Outsiev, trente-sept ans, se trouvait à Londres sur ordre du général Djokhar Doudaev lui-même, personnage haut en couleur, ancien officier de l’armée soviétique reconverti dans le combat pour la libération nationale de la Tchétchénie, dont il est aujourd’hui le président. M. Outsiev, affirme l’agence Tchétchenpress, était le conseiller présidentiel pour ” les affaires économiques extérieures “, et la ” mission spéciale ” dont il était chargé dans la capitale britannique concernait l’impression de passeports, de timbres-poste et de la future monnaie de cette République de moins d’un million d’habitants qui tient à quitter la Russie. Les meurtres auraient été perpétrés par des truands ” intéressés par leur argent “… Voilà pour la version tchétchène.

Il y avait de quoi être intéressé, en effet, puisque Rouslan Outsiev et son jeune frère Nazabek, vingt et un ans, menaient grand train : achat d’une maison dans le quartier huppé de Marylebone pour 1 million de livres (8 millions de francs), achat d’une autre maison à Harrow, Daimler avec chauffeur… ” Succombant à des tentations, explique cette fois l’agence russe Tass, ils ont oublié pour quoi ils étaient venus à Londres et se sont mis à jeter l’argent par les fenêtres. Ils ont commencé à se faire à la réalité capitaliste ” : vêtements de luxe, restaurants, caisses de whisky et de vodka livrées à domicile, ” sans oublier les prostituées : deux ou trois blondes tous les soirs “.

Leur fin fut moins drôle _ très caucasienne, en somme. Le chauffeur d’une fourgonnette, chargé par deux Arméniens de livrer des meubles et des caisses dans la maison de Harrow, fut intrigué par une forte odeur émanant d’une des caisses. Alertée, la police y découvrit, le 1 mars, un sac en plastique qui lui-même renfermait ” le corps démembré ” d’un des frères, tué par balles.

Dans l’autre appartement, on trouva le second cadavre, trois balles dans le crâne. Donnée par Tass, la version russe du meurtre des deux Tchétchènes est cruelle : ” Les maîtres des émissaires tchétchènes avaient été mis au courant de leur vie de débauche, et l’ordre a été donné d’en finir. Cet ordre a été immédiatement exécuté. ”

Depuis, les autorités tchétchènes ont riposté avec une nouvelle version : c’est un coup des services secrets russes.

Pour le Times de Londres, cette découverte a mis Scotland Yard sur la piste d’une très grosse affaire de fraude, dans laquelle seraient aussi impliqués des hommes d’affaires allemands, sur les ventes de matières premières.

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