Le président Boris Eltsine a décrété, lundi 2 novembre, l’état d’urgence pour un mois en Ossétie du nord et en Ingouchie, deux républiques de la Fédération de Russie dans le Caucase du nord, où des affrontements localisés se poursuivraient malgré le déploiement de forces russes.

Confronté à des problèmes semblables à ceux que Mikhaïl Gorbatchev n’avait pas su résoudre au sein de l’URSS, notamment entre Arméniens et Azerbaïdjanais, M. Boris Eltsine a eu recours aux mêmes méthodes dans le premier conflit territorial à s’embraser sur le territoire de la Fédération de Russie elle-même, entre Ossètes et Ingouches (Le Monde du 3 novembre) : en vertu d’un décret instituant l’état d’urgence, une administration provisoire doit se mettre en place dans ces deux ” républiques ” sous l’autorité du vice-premier ministre de Russie Gueorgui Khija, présent sur place depuis samedi. Comme en son temps M. Arkadi Volski (l’actuel chef du ” parti industriel ” russe) avait été ” administrateur ” du Haut-Karabakh avec le peu de résultats que l’on sait, M. Khidja devra tenter de résoudre un conflit dont la solution semble non moins ardue.

Les Ingouches _ quelque 300 000 personnes faisant partie du même ” peuple vaïnakh ” que les Tchétchènes _ sont les seuls à n’avoir pas eu droit, lors du retour au milieu des années cinquante des peuples musulmans du Caucase déportés en Asie centrale, à récupérer leurs territoires : un tiers au moins de ce qui formait l’Ingouchie en 1944, y compris sa capitale Vladikavkaz, est resté au sein de l’Ossétie du nord, dont la population, en majorité christianisée et traditionnellement fidèle aux Russes, n’avait pas été déportée. Quelques dizaines de milliers d’Ingouches s’y sont néanmoins réinstallés, mais la tension entre ces Ingouches et les Ossètes s’est exacerbée il y a un an, lorsque les Tchétchènes ont décidé de créer leur propre République indépendante, au sein de ce qui fut la République autonome de Tchétchéno-Ingouchie. Les Ingouches ont été alors privés de ce qui leur servait de capitale de remplacement, Grozny, sans espoir de récuper pour autant Vladikavkaz ni les territoires à l’est de cette ville, dont les Ossètes se sentent occupants légitimes.

Le facteur tchétchène

Le conflit, que chacun dès lors disait inéluctable, a éclaté alors que le côté ossète disposait de forces armées régulières (garde nationale ossète et troupes russes déployées sur place), bien supérieures aux quelques commandos ingouches, armés à la faveur de l’anarchie guerrière qui s’est dévelopée chez les Tchétchènes. Des manoeuvres militaires ossètes ou russes en territoire contesté, où les Ingouches dressaient des barrages pour se protèger dans leurs villages, auraient alors mis le feu au poudres. Les Ingouches d’Ossétie, qui ont pu saisir (ou acheter) des armes lourdes en prenant des militaires russes ” en otages “, auraient recu des renforts d’Ingouchie, voir de Tchétchénie. Mais les tirs d’artillerie lourde auraient cessé, dimanche, avec l’arrivée de plus de 3 000 hommes des forces spéciales russes, théoriquement neutres, mais dont le déploiement vise à bloquer la frontière, ce qui ne peut que désavantager encore les Ingouches. M. Khija, qui a organisé un accord de cessez-le-feu, a affirmé lundi que la situation était ” sous contrôle “, même si des affrontements sporadiques se poursuivaient. Trois militaires russes ont été tués et neuf autres blessés entre dimanche et lundi, alors que le bilan global oscillait entre vingt et 50 morts.

Le Parlement de Russie a approuvé, lundi, à la quasi-unanimité lors d’une session à huis-clos, le décret eltsinien sur l’état d’urgence (l’opposition ” patriote ” y était aussi favorable). Mais le parlement d’Ossètie du nord, pourtant un des plus loyaux à Moscou, a estimé lundi qu’il ” violait ” sa souveraineté. Les autorités de Vladikavakaz -inchangées depuis le communisme-doivent en effet tenir compte d’une oppostion nationaliste impulsée par les ” démocrates ” ossètes. Ces derniers sont non moins intransigeants sur le conflit frontalier, même s’ils admettent l’idée d’un retour sélectif de quelques familles ingouches dans leurs maisons d’origine.

Mais les solutions négociées sont d’autant plus difficiles à mettre en oeuvre maintenant que le conflit s’inscrit dans la confrontation plus vaste entre Moscou et la République tchétchène auto-proclamée, qui dispose de ses forces armées et inspire puissament les mouvements d’indépendance au sein de la Fédération de Russie. Lundi, son président Djohar Doudaev a dénoncé le ” caractère colonial ” du décret eltsinien, tout en proposant sa médiation à la condition que les troupes russes se retirent. Le petit peuple ingouche risque ainsi de se trouver entraîné dans un conflit qui le dépasse : à Grozny, on accuse la Russie d’agir dans le cadre d’un vaste plan anti-tchétchène, alors que M. Khija a dénoncé, lui, le rôle qu’auraient joué les Tchétchènes dans le déclenchement du conflit.

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