En annoncant, vendredi 13 décembre, qu’ils souhaitaient se rallier à la Communauté d’Etats indépendants créée cinq jours plus tôt par les trois Républiques slaves, les quatre présidents des Républiques d’Asie centrale et celui du Kazakhstan ont certes donné le coup de grâce aux espoirs de M. Gorbatchev de maintenir un pouvoir fédéral. Mais ils ont aussi mis les fondateurs de la Communauté à trois dans l’embarras, dans la mesure où ils ont posé des conditions à leur participation : en gros, le maintien d’une coordination économique et militaire, allant à l’encontre de l’esprit des accords de Minsk. Les cinq présidents d’Asie centrale, réunis jeudi et vendredi, en conclave à Achkhabad, capitale de la Turkménie, la République de la région la moins touchée par les vents de la perestroïka, ont commencé par déplorer, dans leur communiqué, le fait de ne pas avoir été consultés au préalable par les trois présidents slaves : ceux-ci n’ont pas ” tenu compte des réalités historiques, sociales et économiques ” de leurs Républiques et les ” Cinq ” demandent à participer dorénavant, sur un pied d’égalité et comme ” membres fondateurs “, à l’élaboration d’une Communauté qui ne doit pas ” être fondée sur des critères d’ethnie ou de religion “. Or les accords de Minsk citaient dans leurs attendus les liens ” historiques ” et la ” communautés d’intérêts ” entre les trois Républiques slaves _ une précision visant à marquer que l’Ukraine, en tout cas, ne veut pas être liée aux Républiques plus attardées d’Asie.
En outre, alors que les textes de l’accord de Minsk sont des plus brumeux sur la coordination économique, les cinq présidents d’Asie centrale, dont les budgets ont toujours été subventionnés par l’ex-budget fédéral, demandent expressément que soit confirmé l’accord économique déjà signé par huit Républiques, dont l’Ukraine, et que ses points restés en suspens fassent l’objet d’un accord.
Les conditions des Républiques
Rien d’étonnant alors à ce que le communiqué d’Achkhabad ait été salué comme ” positif ” par M. Gorbatchev ainsi que par M. Ivan Silaev, redevenu, selon Tass, président du ” Comité économique interrépublicain ” dont la mort fut aussi, un moment, decrétée. M. Silaev a, de plus, cru pouvoir annoncer, vendredi, que les chefs de gouvernements républicains se réuniront les 18 et 19 décembre à Moscou, ” suite logique, selon lui, des accords de Minsk et du communiqué d’Achakhabad “. Une suite qui reste à confirmer et qui, surtout, n’était pas celle prévue au départ : M. Eltsine avait envisagé, au cas où la réunion d’Achkhabad s’achevait positivement pour lui, de se rendre lui-même samedi à Alma-Ata, capitale du Kazakhstan. Le président Noursultan Nazarbaev, qui dirige une République peuplée pour moitié de Russes ou russophones et pour moitié de musulmans, est, par la force des choses, le plus ” unioniste ” des présidents de l’ex-URSS, même s’il fut un des premiers à prôner vigoureusement une ” souveraineté ” des Républiques. Que la rencontre d’Alma-Ata soit repoussée à une date postérieure au 21 décembre _ après une visite prévue du président de Russie à Rome _ montre que bien des problèmes restent en suspens.
Le président de l’Ouzbékistan, M. Islam Karimov, tout en signant le communiqué d’Achkhabad, a voulu qu’aucune réponse formelle sur l’adhésion de sa République à la Communauté ne soit donnée avant le 29 décembre, date à laquelle il organise une élection à la présidence au suffrage universel. Signe qu’il doit tenir compte des passions nationalistes dans cette République, la plus peuplée et une des moins démocratisées des cinq, où l’idée d’une communauté des seules Républiques musulmanes recueille le plus de suffrages.
Identité musulmane
C’est là, à Tachkent, que l’on parle de recréer un Turkestan et que les cinq présidents d’Asie centrale ont signé, en juillet dernier, un texte en faveur d’une confédération pour promouvoir leur développement économique. C’était un texte largement théorique, car les contradictions entre les cinq Républiques sont nombreuses et parce que Moscou est encore perçue comme une voie plus sûre vers le monde industrialisé que les autres voisins : Iran, Afghanistan et Chine. Mais il reste que les populations aspirent à retrouver leur identité centre-asiatique et musulmane et que ces aspirations prennent de plus en plus ouvertement des formes anti-russes.
Il s’agit donc pour M. Eltsine d’un danger potentiel, qui explique pourquoi des Républiques dépendant économiquement de Moscou peuvent poser des conditions à leur adhésion à la nouvelle communauté. D’autant plus que l’adhésion de la Russie à une Communauté limitée aux Slaves porte en soi les germes d’un éclatement de la fédération russe elle-même, avec ses nombreuses minorités dont les sept millions de Tatars musulmans.
Le président tchétchène Doudaev a d’ailleurs saisi l’occasion pour appeler, vendredi, à la création d’une Union des peuples du Caucase, dont tout le nord fait partie de la fédération de Russie.