Alors que le président russe reconnaissait, mardi 12 novembre, que son décret sur l’état d’urgence chez les Tchétchènes avait été une erreur, M. Gorbatchev, le président soviétique, enfoncait les clous, plaidait à nouveau en faveur de l’Union et critiquait le projet eltsinien de libération des prix.

Tout est bien qui finit bien. M. Boris Estsine a implicitement reconnu que la proclamation de l’état d’urgence en Tchétchéno-Ingouchie avait été une erreur, il s’est engagé à appliquer les correctifs apportés à sa décision par le Parlement russe, et a profité de l’occasion pour rendre un hommage inattendu à la démocratie parlementaire.

Le président russe a ainsi fait dire mardi 12 novembre par son porte-parole qu’il n’avait ” jamais été partisan du réglement de ce conflit [avec les Tchétchènes] à n’importe quel prix ” et avait toujours envisagé ” des méthodes politiques et des pourparlers, quelles que soient les difficultés ” .

Le décret sur l’état d’urgence et les mesures coercitives qui l’accompagnaient sont donc passés au chapitre des profits et pertes et il n’est pas question d’un quelconque ” conflit ” entre le président et le Parlement : ” La démocratie parlementaire est en train de se former en Russie. Les pouvoirs exécutif et législatif se contrôlent mutuellement et cette procédure peut seule exclure les erreurs pouvant conduire à des conséquences tragiques ” . ” Erreur ” : le mot est bien prononcé, de même que ” tragique “, adjectif largement utilisé ces jours derniers par les responsables de la police et du KGB qui avaient sagement préféré s’abstenir de tenter d’appliquer le fameux décret. Loin de s’obstiner dans une voie sans issue, Boris Eltsine reconnaît donc avec élégance ce qui reste une défaite politique majeure et, du coup, il limite les dégâts.

C’est tout à son honneur mais cela ne résout pas le problème pour autant. Le général Doudaev et ses amis, qui triomphent à Grozny, la capitale de la République, restent aux yeux de Moscou des autorités illégitimes, issues d’élections qui n’ont concerné que les seuls Tchétchènes, à l’exclusion des autres nationalités _ ingouche ou russe.

Déjà, portés par leur succès, les dirigeants tchétchènes estiment superflu le référendum sur l’indépendance prévu pour le mois de décembre et préparent la formation d’une ” division tchétchène ” susceptible de défendre tous les peuples du Caucase du nord contre une attaque extérieure. Certes le général Doudaev prend soin de ménager personnellement Boris Eltsine alors qu’il veut poursuivre en justice ceux qui l’ont conseillé dans cette affaire, notamment le vice-président russe Routskoï. Mais les négociations entre les deux parties s’annoncent fort ardues, d’autant que les Tchétchènes posent comme préalable la reconnaissance de leur indépendance. Sur place la situation reste confuse, des assassinats suspects ont été commis à Grozny et le général Doudaev parle de ” provocations ” .

Une série de petits cailloux

A Moscou le faux-pas tchétchène du président russe ne peut qu’affaiblir sa position à la veille d’une nouvelle réunion jeudi 14 novembre du Conseil d’Etat, c’est-à-dire des dirigeants des Républiques. C’est à cette occasion que le sort du ministère soviétique des affaires étrangères (que M. Eltsine veut réduire au strict minimum), devrait être définitivement fixé, comme devraient être précisées les fonctions et les attributions du ” Comité économique inter Républiques “.

M. Gorbatchev en profitera certainement pour lancer un nouvel appel à la préservation d’une Union dotée de structures adéquates.Il l’a déjà fait mardi au cours d’une conférence de presse consacrée à la présentation de son fascicule sur le putsch, qui paraît à Moscou plusieurs semaines après sa publication en Occident. Sur un ton profondément affligé, il a évoqué ” la désintégration de l’Etat “, les tentatives de remise en cause de la politique étrangère et la défense du pays, tout en se déclarant persuadé qu’au bout du compte, ” les séparatistes, les isolationnistes, les ennemis de l’Union ” seraient défaits.

Tout en mettant en avant, comme il le fait désormais systématiquement, ses excellentes relations avec M. George Bush, M. Gorbatchev s’est arrangé pour déposer gentiment une série de petits cailloux dans le jardin du président russe. On l’a ainsi entendu dire à propos de la crise tchétchène que certains ” camarades ” avaient ” conclu un peu trop vite que les moyens politiques étaient épuisés ” et avaient ” surestimé l’importance de la force “. Après quoi, il s’est félicité que ” les Russes soient revenus à la voie juste, celle du dialogue “. De manière encore plus explicite, il a remarqué qu’on ne pouvait ” avoir deux attitudes différentes pour ce qui concerne la Fédération de Russie et l’Union “.

M. Gorbatchev a aussi expliqué qu’il ne serait pas judicieux de ” libérer les prix ” sans accroître la production et ” renforcer le contrôle sur les finances “. Commencer par libérer les prix, a poursuivi le président soviétique, ” ce serait se retrouver dans une sitution critique et puis se demander quoi faire “. N’est-ce pas précisément ce qu’on reproche de plus en plus à M. Eltsine, qu’il s’agisse de la réforme économique ou des conflits nationaux ?

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