M. Mikoyan a pris sa retraite il y a un an, ce qui d’ailleurs ne l’empêche pas de siéger au présidium du Soviet suprême, d’assister aux grandes cérémonies du régime, voire de participer à des conférences sur l’amélioration du commerce. On vient d’apprendre aussi que, libéré des servitudes du pouvoir, il rédigeait ses Mémoires. Jamais encore depuis l’époque stalinienne, un dirigeant soviétique n’avait encore entrepris de raconter l’histoire telle qu’il l’avait vécue.

Sans doute trouve-t-on en librairie, à Moscou, des ouvrages de maréchaux et généraux qui décrivent leurs batailles. On a même prétendu que depuis la défaite de son ” groupe antiparti “, M. Kaganovitch fréquentait assidûment les bibliothèques pour rassembler les documents nécessaires à la confection de ses souvenirs. Mais le temps n’est pas encore venu où les vaincus d’un combat politique peuvent présenter leurs manuscrits à une maison d’édition. Si M. Kaganovitch écrit, c’est à l’intention des services du comité central ou des archives de l’institut d’histoire.

M. Mikoyan, lui, rédige et publie les bonnes feuilles de son œuvre dans la revue ” Younost “, cette même revue qui au moment du 23e congrès avait été, tout comme ” Novy Mir “, vertement critiquée par les conservateurs. La ” Literatournaya Gazeta ” reproduit avec l’autorisation de l’auteur et de la revue, précise-t-elle, un extrait de ce chapitre où M. Mikoyan y décrit une mission de pacification qu’il accomplit en janvier 1923, à Tchétchène, en compagnie de Vorochilov C’est une page édifiante. Les délégués du comité central réussirent à gagner à la cause soviétique un chef spirituel qui s’était révolté contre Lénine parce que le tsar avait envoyé son père en exil.

Nous lui avons expliqué, conclut le mémorialiste, que le gouvernement soviétique n’était pas responsable des actes de l’ancien gouvernement. ” A la fin de l’entretien le rebelle fut nommé membre du comité de la République à laquelle il appartenait.

On veut espérer que M. Mikoyan apportera des révélations plus intéressantes dans son ouvrage. N’est-il pas le seul des dirigeants soviétiques qui ait participé au pouvoir sous Lénine, Staline, Khrouchtchev, Brejnev et Kossyguine ? Il connut une longévité politique exceptionnelle parce qu’il pratiquait à merveille la discrétion. Il se faisait envoyer en voyages d’études à l’étranger quand la terreur frappait le sommet du parti, puis après avoir, le premier, critiqué les livres de Staline, il laissait à M. Khrouchtchev le soin d’instruire le procès intenté à l’ancien dictateur. L’écrivain sera-t-il aussi prudent que le fut le politicien ?

Pourtant c’est à lui aussi que pourrait s’adresser la requête que faisait en février 1956 M. ” K ” au maréchal Vorochilov, avec il est vrai une pointe de malignité puisque l’interpelé s’opposait à la déstalinisation : ” Que Clément Vorochilov, notre cher ami, trouve le courage nécessaire et qu’il écrive la vérité sur Staline ; après tout il sait comment Staline s’est ” battu “. Il sera difficile au camarade Vorochilov d’entreprendre ce travail, mais il serait bon qu’il le fît. Chacun s’en féliciterait le peuple comme le parti. Même ses petits-fils l’en remercieraient. ”

M. Mikoyan nous donnera-t-il l’occasion de lui dire merci ?

BERNARD FÉRON.

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