Ce document permet de faire plusieurs constatations. Et d’abord celle-ci : le Soviet de l’Union aura trente et un députés de plus qu’en 1954 (non compris les représentants des circonscriptions militaires qui se trouvent hors des frontières) (1). La nouvelle assemblée comptera 731 membres au lieu de 700. Si chaque circonscription comprenait vraiment 300 000 habitants, on pourrait aisément calculer la population globale de l’U.R.S.S., par une simple multiplication. Il en résulterait que cette population s’élève à l’heure actuelle à 219 millions 300 000 habitants. Or il n’en est rien. D’après les statistiques officielles, on sait aujourd’hui que l’U.R.S.S. avait 200 200 000 habitants (approximativement) en avril 1956. Elle n’a donc pas pu augmenter de 19 millions en deux ans. Pour la démographie soviétique, le critère des circonscriptions électorales est inutilisable, car celles-ci renferment souvent beaucoup moins de 300 000 personnes. Si l’on estime à environ 3 millions la croissance annuelle moyenne (et c’est un maximum), la population de l’U.R.S.S. en 1958 serait de l’ordre de 206 millions. Mais on ne sera fixé qu’après le prochain recensement qui aura lieu – enfin ! – en 1359.
Où se trouvent les trente et une circonscriptions nouvelles ? Un peu partout sans doute, mais essentiellement à l’est de l’Oural. Les Izvestia citent notamment, dans la province (oblast) d’Irkoutsk, la ” circonscription de Bratsk “, ville toute récente édifiée sur les lieux de la puissante centrale électrique de l’Angara, qui aura une production de 3 600 000 kilowatts. Le journal cite encore la nouvelle ” circonscription de Stavropol “, sur la Volga, voisine de la nouvelle centrale de Kouibychev, qui est – pour l’instant – la plus grande du monde. Mais il aurait pu souligner plutôt le développement rapide du Kazakhstan, où l’on a dû créer six circonscriptions de plus qu’en 1954 : il y en a en effet trente au lieu de vingt-quatre. C’est bien la preuve que la population de cette république a augmenté considérablement dans les quatre dernières années, en raison de l’exploitation des terres vierges. Elle doit être d’environ dix millions d’habitants, ce qui met le Kazakhstan au troisième rang des républiques fédérées de l’U.R.S.S., après la Fédération russe et l’Ukraine.
Ce que révèle en outre le document des Izvestia c’est la réhabilitation des malheureux peuples du Caucase, déportés par ordre de Staline à cause de leur attitude pendant l’occupation allemande. La ” république autonome kabardienne ” de 1954 reprend maintenant son ancien nom de ” république kabardino-balkare “. On retrouve d’autre part sur la liste la ” république autonome des Tchétchènes-Ingouches “, qui n’y figurait pas en 1954 (2). Enfin, conformément aux décisions récentes, l’oblast de Molotov redevient oblast de Perm (avec deux circonscriptions de plus : dix au lieu de huit) et l’oblast de Tchkalov reprend son ancien nom d’Orenbourg.
Molotov subit une seconde disgrâce à Moscou même. La ” circonscription Molotov “, dont il était toujours l’élu, n’existe plus, alors qu’a été maintenue la ” circonscription Staline “, à côté de celles de Lénine, Jdanov, Kouibychev, Frounze, Chtcherbakov, Dzerjinski, Kalinine, Sverdlov. Il est à peu près certain que Molotov n’aura plus l’honneur d’être député au Soviet suprême de l’U.R.S.S. Seront sans doute destitués aussi de leurs mandats les autres membres du ” groupe antiparti ” : Malenkov, Kaganovitch, Chepilov et le maréchal Joukov, qui était jusqu’ici député de l’oblast de Sverdlovsk au Soviet de l’Union.
(1) Au Soviet de l’Union élu le 14 mars 1954 on comptait huit circonscriptions militaires, qui avaient naturellement élu des officiers supérieurs de l’année.
(2) On se souvient que dans son rapport secret de février 1056 Khrouchtchev avait flétri en ces termes les crimes de Staline : ” En mars 1944 les peuples tchétchène et ingouche furent déportés, et la république autonome tchétchène-Ingouche fut liquidée. En avril 1944 tous les Balkares furent déportés de la république autonome kabardino-balkare vers des lieux éloignés, et la république Tut alors dénommée république autonome kabardienne. ”
ANDRÉ PIERRE